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Pour une politique africaine de la France plus pragmatique

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Publié le

22 mai 2024

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En raison d’hostilités croissantes, il nous faut repenser les relations françaises avec le Sahel et donner la priorité à la zone Indo-pacifique.
© Capture d'écran YouTube

La France n’est plus en odeur de sainteté au Sahel. En témoigne notre éviction du Mali, du Burkina Faso et du Niger sous le prétexte d’incapacité à réduire les groupes terroristes de la zone. Pour autant, la création de l’Alliance des États du Sahel (AES) qui en est résulté témoigne aussi de la méfiance pour ne pas dire de l’opposition de ces trois pays envers la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), traitée comme une organisation néocoloniale, incapable de coordonner les actions des pays d’Afrique de l’Ouest, ce qui n’est pas faux. Cette évolution concerne aussi l’Union européenne et tout l’Occident puisque les troupes américaines sont appelées à quitter aussi le Niger, un coup de pied aux fesses, comme nous. Nous ne sommes donc pas seuls en cause. Un mouvement subversif général ourdi par la Russie est en train de s’installer en Afrique, afin de prendre notre place, notamment militaire. Cela profite à court terme à certaines élites africaines qui ont pris le pouvoir et fait monter les enchères, faute de pouvoir compter sur les solidarités africaines. Nous n’avons pas su ou pu contrarier ce mouvement qui profite aussi à la Turquie et à la Chine. Un millier de mercenaires syriens ont été envoyés au Niger pour protéger les intérêts turcs. Selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme, ces combattants syriens venant des régions sous contrôle turc sont partis au Niger depuis un an pour y « protéger des intérêts et des projets turcs ». Cette tendance semble se développer dans d’autres pays de l’Afrique de l’Ouest (Sénégal, Tchad, Guinée) alors que l’Afrique centrale semble pour le moment y échapper.

Nul ne peut dire si cette graine néocoloniale prendra sur le long terme en Afrique. Pour le moment, l’État islamique (EIGS) continue de gagner du terrain au Sahel malgré le renfort du groupe russe Wagner. Les armées nationales africaines sont incapables de faire face elles-mêmes à cette situation et commettent parfois des exactions contre leur propre population, comme au Mali ou au Burkina Faso. Autre plaie, la mauvaise gouvernance et la corruption endémique n’ont nullement cessé. Nul ne peut dire non plus ce que deviendront les relations entre la CEDEAO et l’AES et si cette dernière sera viable, ou si cela n’aura été qu’une irruption révolutionnaire éphémère. En tout cas, le complotisme et la paranoïa sont de rigueur, notamment sur les réseaux sociaux africains, la France étant même accusée d’entraîner ses militaires ou des terroristes au Bénin, afin de combattre contre le Niger en vue de sa recolonisation…

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Devant cette situation et compte tenu de notre situation financière très contrainte, il nous faut être aujourd’hui très pragmatique dans nos programmes de coopération avec l’Afrique, tailler dans le vif afin de faire des économies qui pourront être réorientées vers d’autres zones prioritaires, comme l’Indopacifique par exemple.

Nous devons tout d’abord reconsidérer le financement français dans le Fonds européen de développement (FED), et d’une manière générale dans les financements européens en Afrique qui ont montré leur limite, souvent déconnectés des réalités africaines, et qui ne brillent que par leur lenteur administrative (principal reproche que tous nos partenaires africains). Il suffit de voir que la pauvreté n’a pas baissé dans les populations africaines pour s’en persuader. Les évaluations des programmes européens sont soit inexistantes, soit dévoyées afin de faire perdurer des projets inadaptés. Notre rôle sera aussi de peser sur les négociations UE/ACP pour plus d’équilibre en faveur des pays africains. 

Nous devons aussi mettre fin à nos participations financières aux projets multilatéraux au sein de l’Union africaine (UA) et de la CEDEAO, soutenus par l’UE, qui ne sont souvent que des usines à gaz inefficaces et inutiles, dans des organisations qui ne sont que des coquilles vides. Chaque pays africain y espère des postes enrichissants pour leur titulaire, où chacun attend que les autres s’engagent. L’exemple typique en est le Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD) créé en 2001 au sein de l’UA, qui n’a jamais décollé, ou encore et plus récemment le feu G5 Sahel crée en 2014 et dissous en 2023. Par ailleurs, le continent africain mise beaucoup depuis une vingtaine d’années sur l’essor des classes moyennes pour sa croissance économique. Or, sans même tenir compte des évolutions récentes ayant suivi la crise Covid et le conflit en Ukraine, cette émergence des classes moyennes en Afrique reste très hypothétique, L’économiste Marc Lautier, spécialiste des pays en développement, explique dans un article paru dans Futuribles et intitulé « Le mirage des classes moyennes en Afrique » que les classes moyennes, à l’exception sans doute de l’Afrique du Sud, devraient rester très marginales en Afrique subsaharienne, y compris à long terme.

 « Je réitère ici la volonté du Sénégal d’avoir son propre contrôle, volonté incompatible avec la présence durable de bases militaires étrangères. »

Ousmane Sonko

Sur le plan militaire, il faut aussi être lucide. Lors d’un discours prononcé jeudi 16 mai 2024 lors d’une conférence de presse conjointe avec le leader de LFI Jean-Luc Mélenchon, à Dakar, le Premier ministre sénégalais Ousmane Sonko a déclaré : « Je réitère ici la volonté du Sénégal d’avoir son propre contrôle, volonté incompatible avec la présence durable de bases militaires étrangères. » « Cela ne remet pas en cause les accords de défense », a-t-il précisé. Prenons donc rapidement les devants en supprimant dans les meilleurs délais notre base militaire de Dakar, qui est déjà une portion congrue et dont l’utilité stratégique de soutien logistique à une Force multinationale africaine n’est plus évidente. Et puis, évidemment, mettons fin à nos accords de défense avec le Sénégal, il y a une limite à tout… Les accords de défense doivent aujourd’hui être négociés entre pays africains, question de souveraineté. Felix Houphouët-Boigny avait proposé la constitution d’un OTAN africain en Afrique de l’Ouest dès 1960. Il serait temps de s’y mettre fin. Nous ferons là aussi des économies, d’autant que la gouvernance sénégalaise, proche des Frères musulmans, est devenue hostile à la France. L’instabilité politique et sécuritaire du pays est dès lors soumise à la contagion probable, si ce n’est certain dans l’avenir, de l’État islamique. Nous pouvons conserver, autant que possible, les bases d’Abidjan, de Libreville et de Djibouti, afin d’assurer la sécurité de nos ressortissants dans la zone et éventuellement une demande d’intervention urgente d’un État, du type de l’opération Serval. 

Dans cette même veine il nous faut supprimer notre coopération militaire institutionnelle, qui a échoué dans ses objectifs de stabilisation des pays africains depuis les indépendances et nous a parfois fait mettre en accusation comme au Rwanda, au Mali, au Burkina Faso ou encore au Niger. Ne conservons une coopération militaire et des accords de défense qu’avec la Côte d’Ivoire, le Gabon et Djibouti ou nous avons des bases militaires. Il en va de même pour notre coopération policière. Là aussi, nous ferons des économies avec l’attrition attendue de la Direction de la coopération de sécurité et de défense (DCSD). Ces réformes entraîneront de nouvelles sources de financement disponibles. 

Ce reformatage de notre coopération permettrait de nous redéployer vers des projets bilatéraux de l’aide publique au développement (APD) bien choisis par nos partenaires africains amis et non par nous, tout en restant connectés aux réalités africaines. Nous devrons être clairs avec les chefs d’État africains, la souveraineté et l’indépendance doivent bénéficier aux populations et l’émigration vers l’Europe doit être enrayée, pour le bienfait de tous. Le Comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID) devra être davantage orienté vers la zone Indopacifique, notamment le Vietnam, le Cambodge et le Laos, zone qui doit être aujourd’hui notre priorité géopolitique, c’est le vent de l’histoire. Sans oublier les énormes investissements à engager pour la Nouvelle-Calédonie dans les années à venir. L’accent devrait être mis sur les infrastructures de transport, d’énergie électrique, sur la transition écologique et l’adaptation climatique. La bonne gouvernance et la lutte contre la corruption guideront bien évidemment le choix de nos partenaires, publics ou privés. Je reste persuadé qu’il y a encore un avenir pour la France dans ses anciennes colonies, si nous ne refaisons pas les mêmes erreurs que par le passé.

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