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Reportage : Avortement, voyage au bout de l’enfer

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Publié le

5 mars 2021

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Afin de garantir la « liberté de choix des femmes », ivg.gouv.fr voit le jour en 2013. « Neutralité » et « choix » sont les mots brandis par sa commanditaire Najat Vallaud-Belkacem. La réalité est pourtant bien différente. Reportage.
Planning familial2

2013. Najat Vallaud-Belkacem, alors ministre du Droit des femmes, lance ivg.gouv.fr dans les locaux du Planning familial, un site « sûr et officiel » sur l’avortement, tamponné par le ministère des Solidarités et de la santé et créé en réponse à la « croissance du nombre de sites internet diffusant des informations mensongères ou orientées, susceptibles de compromettre l’exercice du droit à l’IVG ». Il est ajouté que « la prolifération d’informations souvent trompeuses et culpabilisantes pour les femmes, […] sur la question de l’IVG, est de nature à porter atteinte à la liberté de choix des femmes ». Il s’agit de proposer un site d’information « neutre », qui permette « à chaque femme de disposer de tous les renseignements utiles pour éclairer son choix ». Sur le site, il n’est pourtant question que d’IVG : « IVG je suis mineure » ; « IVG qui peut m’aider » ; « Décryptage des idées reçues sur l’IVG » ; ou encore « Désinformation IVG » qui alerte sur les fausses informations « en réalité éditées par des militants contre l’avortement », met en garde contre les forums de soutien où « certains témoignages sont montés de toutes pièces » et contre les numéros verts qui consacrent « une grande part de leur contenu à la maternité » et « aux soi-disant complications et traumatismes liés à une IVG. » On a connu site d’information plus neutre…

Des numéros verts, justement, le site en propose un en gros caractères. Au bout du fil, des « professionnels » vous répondent du lundi au samedi de 9 heures à 20 heures pour vous orienter systématiquement vers deux types de structures : les CPEF (Centres de Planification et d’Éducation familiale) ; et les « établissements d’information et de consultation » regroupant des associations telles que le Planning familial. Les CPEF sont des établissements publics, financés par les conseils départementaux, qui dispensent des informations relatives à la contraception, la sexualité, l’IVG, les relations affectives et familiales. Le Planning familial est une association se définissant comme un « mouvement féministe et d’éducation populaire ».

IVG ou précarité

« J’ai été directement orientée vers l’antenne du Planning familial du Val-de-Marne », nous raconte Aurélie, trente ans. En couple depuis un an, elle était sous le choc de se découvrir enceinte d’environ six semaines à cause d’un échec de contraception orale. « Au téléphone, la conseillère du planning n’ayant plus de rendez-vous disponible dans la journée, me propose d’aller directement à l’hôpital, en m’expliquant que puisque ma demande est assez urgente, elle ne voudrait pas me faire attendre deux jours de plus ». Demande urgente ? Le délai pour recourir à l’avortement est à ce jour de douze semaines de grossesse et quatorze semaines d’aménorrhée (absence de règles). La loi prévoit deux consultations médicales obligatoires préalablement à une IVG. De plus, un entretien psychosocial est obligatoire pour les mineures, et doit être obligatoirement proposé aux majeures. Enfin, un délai de 48 heures est requis avant que la femme donne son consentement, après un entretien psycho-social. Il s’agit d’un document signé attestant de la volonté de la mère d’interrompre la grossesse.

Durant tout l’entretien, la conseillère me répétait qu’elle ne voulait pas me pousser à l’IVG, que c’était “mon corps, mon choix”, mais elle ne me présentait aucune aide sociale, ni aucun recours »

Aurélie obtient finalement un entretien pré-IVG avec la conseillère conjugale et familiale du planning : « J’y suis allée : à l’intérieur tout était rose et vert, très “girly”. J’ai expliqué que mon compagnon voulait que l’on garde l’enfant, mais que je ne savais pas quoi faire, car j’étais complètement paniquée. Je lui ai dit que j’avais peur d’une rupture et de me retrouver seule avec l’enfant. Durant tout l’entretien, la conseillère me répétait qu’elle ne voulait pas me pousser à l’IVG, que c’était “mon corps, mon choix”, mais elle ne me présentait aucune aide sociale, ni aucun recours ». Difficile de faire un choix quand une seule alternative vous est proposée. Une version que nous a confirmée Clara, sage-femme, qui en 2017 effectuait un stage dans une antenne du Planning familial, accueillie dans un hôpital d’Île-de-France. « L’environnement est très accueillant et l’ambiance cocooning feutrée », nous explique-t-elle. « Si le personnel est bienveillant, il y a cependant comme une rétention d’information. Je me rappelle l’entretien pré-IVG d’une étudiante avec la CCF (conseillère conjugale et familiale) : j’étais étonnée que celle-ci ne propose pas d’aides alternatives à la jeune fille. Lorsque je lui ai demandé pourquoi, elle m’a répondu “ça ne sert à rien, les aides sont impossibles à obtenir” ».

Mon corps, mon choix ou pas

Le même discours a été tenu à Marine, 26 ans, confrontée au rejet brutal de son petit ami et menacée par ses parents d’être mise à la rue si elle poursuivait sa grossesse. Désespérée, la jeune femme s’est rendue contre son gré au planning familial de Seine-Saint-Denis : « J’ai été reçue par une animatrice. Je lui ai dit que j’étais là car je n’avais pas le choix, mais que je ne voulais pas avorter. Elle m’a dit plusieurs fois que personne ne pouvait m’y obliger, que légalement la décision m’appartenait. “Vous avez le choix, c’est votre corps, c’est vous qui décidez de le garder ou de ne pas le garder”. Elle a ajouté qu’il fallait considérer la situation dans laquelle je garderais l’enfant et a terminé : “a priori toute seule, sans soutien” ».

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Visiblement, lorsqu’une femme se rend au Planning familial, elle ne reçoit aucune information sur les aides dont elle peut bénéficier, ni sur les structures susceptibles de l’accueillir. Un autre témoignage confirme cette rétention d’information : Anaïs, 25 ans, a vécu un entretien similaire au CPEF des Hauts-de-Seine. Célibataire, enceinte et sans soutien familial, ne sachant à qui s’adresser, elle s’y est rendue en quête d’aide : « J’ai été reçue par une conseillère conjugale et familiale. Je lui ai dit que je ne voulais pas avorter, mais que je ne savais pas quoi faire ». La jeune femme explique qu’elle ignore comment s’en sortir pour trouver un logement et une source de revenus stable. « La conseillère m’a expliqué que malgré ma situation précaire, je pouvais choisir de poursuivre ma grossesse et que cela pourrait même me donner une “pulsion de vie” et l’énergie nécessaire pour trouver un emploi et un logement, raconte Anaïs. Mais j’attendais des solutions concrètes, qu’on m’indique les aides dont je pouvais bénéficier, des structures d’accueil ou des associations d’aides aux femmes enceintes en difficulté comme moi ». Elle trouvera autrement. De même que pour les deux autres, aucune solution concrète alternative à l’IVG n’a donc été proposée à la jeune femme.

Banalisation de l’acte

Comment promouvoir le libre choix des femmes, si celles-ci n’ont comme option que l’IVG ou la précarité lorsqu’elles viennent demander de l’aide ? D’ailleurs ce libre choix peut lui aussi être remis en question. Aurélie (qui s’était rendue au planning familial du Val-de-Marne) nous rapporte les propos que lui a tenus la conseillère conjugale et familiale : « Je ne sens pas de désir d’enfant chez vous. Vous ne me parlez pas d’une chambre pour le bébé ». Alors qu’elle essayait d’expliquer à la conseillère qu’elle ne subissait aucune pression, celle-ci lui parlait de « grossesse imposée », et lui affirmait que le choix de l’IVG lui permettrait de tester la solidité de son couple et la capacité de son conjoint à la soutenir même en cas de désaccord. Une phrase a particulièrement déstabilisé la jeune femme : « Le pire c’est lorsqu’elle m’a dit : “Si vous décidez d’interrompre votre grossesse, d’une certaine façon vous sauvez une vie pour plus tard”. Je suis sortie de là complètement perdue, plus déboussolée qu’en y entrant ».

La « liberté de choix des femmes » prétendument défendue par l’État est bafouée. Car pour choisir en pleine conscience, encore faut-il connaître les risques que l’on encourt et savoir que d’autres solutions existent

Anaïs a entendu une sentence du même acabit, lorsqu’elle a exprimé son refus de « perdre un enfant » à la conseillère du CPEF des Hauts-de- Seine. Celle-ci lui a rétorqué : « Ce n’est pas un enfant. Pour l’instant vous n’êtes pas mère ». Une négation du caractère humain de l’embryon et du fœtus, confirmée par Clara, la sage-femme : « Aux échographies, ils ne montrent pas le bébé, ils n’emploient même jamais le terme “bébé”. Ils parlent de l’embryon ou du fœtus selon le stade de la grossesse. Alors qu’à un stade équivalent lors d’une consultation gynécologique classique, on vous parle de “votre bébé” et on vous le montre à l’écran. Au planning familial, la consigne c’est de ne pas montrer leur enfant aux femmes, on ne leur propose donc pas de le voir ou de l’entendre ».

« Ça va bien se passer »

Clara nous décrit également le traitement réservé aux fœtus avortés : « Pour celles qui expulsent aux toilettes, le fœtus part en tirant la chasse. Pour les autres, une fois qu’elles ont expulsé, on nettoie tout très vite, on enlève le corps du fœtus et on essuie le sang, pour qu’elles ne soient pas choquées. On met tout dans un sac jaune “déchets biologiques” qui est ensuite récupéré par un laboratoire. Un jour, après un avortement chirurgical, le corps du bébé a été mis dans un sac-poubelle et laissé derrière une porte, la journée entière, en attendant que le laboratoire vienne le récupérer. Tout le monde trouvait cela normal ». À propos des séquelles résultant d’une IVG, le discours de banalisation est toujours le même.

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Les trois jeunes femmes disent toutes ne pas avoir été informées des divers risques, c’est-à-dire : dépression, syndrome de stress posttraumatique, syndrome post-abortif, fausses couches lors des grossesses ultérieures voire stérilité (liste non exhaustive). Aurélie a, pour sa part, été avertie du risque d’hémorragie, mais uniquement parce qu’elle avait naïvement demandé à la conseillère pourquoi celle-ci voulait connaître son groupe sanguin. Les trois jeunes femmes ont finalement décidé de poursuivre leur grossesse. Mais la sage-femme a pu nous décrire l’envers du décor : ce qu’il se passe au planning après les entretiens pré-IVG. Et ce qu’elle décrit contraste furieusement avec l’apparente ambiance « feutrée » et « cocooning » se dégageant du lieu. « Dans une salle, il y a quatre box où les femmes subissent leur avortement médicamenteux. Les mamans se tordent de douleur au moment de l’expulsion du fœtus. C’est même malsain. On est là pour essayer de les soulager, leur donner des antidouleurs, essayer de les rassurer en leur répétant que “ça va bien se passer”. Ce qui est faux. Nous leur disons que tout va bien, alors que c’est nous qui venons de provoquer toute cette douleur. Il y a un mal-être très profond qui est perceptible chez ces femmes, dans ce lieu. J’ai vu ces femmes allongées, l’une avec son voile qui essayait de se cacher le visage. Elles étaient recroquevillées sur leur lit. On aurait dit des bêtes terrées, seules avec leur douleur ». C’est donc une atmosphère très froide et glauque qui règne à l’intérieur des salles où les femmes expulsent. Toujours en décalage complet avec l’attitude du personnel : « Face à elles, vous avez des professionnels très “bienveillants”. Je n’ai jamais vu cela dans un autre service hospitalier. Ils ont l’impression de sauver et d’aider vraiment ces femmes. On se croit dans un monde tout rose où ils iront jusqu’au bout pour remplir leur mission. Ils vont même jusqu’à apporter des petits plateaux goûter pour “réconforter” les mamans fraîchement avortées. La réalité de ce qui s’y passe est totalement occultée ».

L’information « parfaitement neutre » délivrée par le site « sûr et officiel » ivg.gouv.fr ne va donc que dans un sens : celui de l’IVG. La « liberté de choix des femmes » prétendument défendue par l’État est bafouée. Car pour choisir en pleine conscience, encore faut-il connaître les risques que l’on encourt et savoir que d’autres solutions existent. Or, lorsqu’elles se rendent dans les structures approuvées par le site, les femmes ne bénéficient d’aucun soutien conjugal ou familial, et ne se verront jamais proposer d’autre choix que d’avorter pour ne pas sombrer dans la précarité.

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