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L’Histoire de l’art au service de Notre Dame de Paris

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Publié le

29 avril 2019

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Louisiane Savigny est étudiante en Histoire de l’Art, spécialisée dans la restauration du patrimoine bâti médiéval. Elle a accepté de répondre à nos questions.

 

A-t-on une idée de l’ampleur des dégâts qu’a provoqués l’incendie de Notre-Dame de Paris ?

 

A ce jour, il est difficile d’établir un état des lieux exact tant que tous les diagnostics n’auront pas été posés. On sait que la charpente, le toit et le flèche ont été ravagés par les flammes et des éléments se sont effondrés, perforant ainsi deux voûtes à la croisée du transept et dans la nef. L’intérieur de la nef a donc souffert de cet effondrement et a été soumis aux très hautes températures dues à l’incendie, mais aussi a des quantités très importantes d’eau. Les deux facteurs combinés ont soumis la pierre à rude épreuve.

Il va falloir voir comment elle va réagir dans les prochaines semaines, en espérant que l’on n’ait pas de mauvaises surprises.Les murs et la structure de la cathédrale tiennent, mais ayant été soumis a des conditions extrêmes, ils sont plus que jamais fragilisés. Les restes de bois calcinés et l’eau qui a été utilisée pour éteindre l’incendie ont ajouté du poids sur les voûtes, pouvant exercer des pressions très importantes et mettre en péril l’équilibre de l’édifice. Le CNRS pointe aussi du doigt un danger peut-être encore plus grand qui est celui de la résistance au vent de l’édifice. Elle serait actuellement amoindri de 60% en ne pouvant supporter que des vents inférieurs à 90 km/h contrairement à 220 km/h auparavant.

 

Lire aussi : L’éditorial de Jacques de Guillebon : Sous la cendre

 

Pour le moment, de nombreuses interventions ont été effectuées pour limiter les dégâts et préserver ce qui peut l’être. Tout d’abord le trésor a pu être mis en lieu sûr durant l’incendie et les tableaux qui étaient dans la nef  ont pu être enlevés et transportés au Louvre afin d’être restaurés. L’ensemble des vitraux qui eux,  n’ont pas été détruits par l’incendie vont ces jours-ci être déposés afin de ne pas être mis en péril lors des travaux de restauration qui vont être entrepris à Notre-Dame, et vont sûrement subir eux aussi une restauration, de la suie s’étant probablement déposés dessus. J’espère qu’il n’y aura pas plus de dégâts, car les vitraux sont composés de plomb et de vers colorés.

Ces deux matériaux pouvant être endommagés par la forte chaleur. Enfin, ces derniers jours plusieurs opérations ont été effectuées au niveau de la structure : tout d’abord, des filets de sécurité ont été posés sur les pignons et les roses pour prévenir tout risque de chutes d’éléments, de nombreux gravats et morceaux de poutres calcins ont été enlevés afin de soulager les voûtes de leur poids et permettre l’écoulement de l’eau qui stagnait, etc. Enfin,  la cathédrale a été munie d’une bâche qui repose actuellement sur une structure provisoire de poutres en treillis métallique, faute de charpente. Cette bâche est une solution d’urgence et est provisoire en attendant un toit parapluie .

 

 

Notre-Dame a donc pour le moment évité le pire malgré l’ampleur des dégâts, essentiellement grâce aux savoir-faire d’excellence et à la réactivité des acteurs entourant le patrimoine français. Attention cependant à une certaine précipitation qui semble être voulu par le politique et qui pourrait mener à des erreurs. Un travail dans l’urgence a certes été accompli, mais il faut à présent prendre le temps de poser tous les diagnostics et de travailler au mieux pour la restauration de l’édifice, en n’ayant pas de contrainte de temps autre que celle demandée par le bâtiment.

 

On commence déjà à voir poindre la vieille opposition entre « antiques » et « modernes ». Que signifierait reconstruire Notre-Dame « à l’identique » ? Est-ce souhaitable ?

 

La querelle des Anciens et des Modernes est un peu compliqué à transposer dans ce cas, même si on pourrait y voir des similarités. En gros, on voit dans le débat public une opposition entre les tenants d’une reconstruction de Notre-Dame dans un état identique avant l’incendie , comme si il n’avait jamais eu lieu, et les tenants d’une reconstruction des parties  manquantes de façon contemporaine. Dans la réalité, ni l’une ni l’autre de ces options ne peuvent être réalisées. En effet, Notre-Dame de Paris est une cathédrale qui est classée Monument Historique et classée au Patrimoine Mondial de l’UNESCO, ce qui veut dire que toute intervention est régie par un certain nombre de règles et de lois, en particulier la Charte de Venise.

Il est important de noter qu’il n’y aura pas de reconstruction de Notre-Dame, car la majeure partie de l’édifice tient actuellement toujours debout. Le monument subira donc une restauration et sûrement une restitution d’une ou plusieurs parties. J’attire ici l’attention sur des notions différentes qui utilisées à tort et à travers en ce moment et qui permettent de mieux saisir les enjeux du sujet. La restauration est le fait de rétablir le bâti en bon état. Elle est avant tout respectueuse du bâti tel qu’il est et on veille à ne pas faire d’anachronisme ou des ajouts qui ne sont pas en accord avec l’ensemble. La quête d’originalité n’est surtout pas de mise et la restauration est généralement discrète. La restitution est le fait de vouloir remettre le bâtiment dans son état premier.

 

Lire aussi : Notre dame de Paris : de gros manquements aux obligations de sécurité

 

Cependant il faut bien noter que toute intervention doit pouvoir répondre à deux critères essentiels demandés par la Charte de Venise : elles doivent toujours être visibles (voir la différence entre les ajouts faits lors de la restauration et les éléments antérieurs, et réversibles, c’est à dire que tous les éléments ajoutés lors de la restauration doivent pouvoir être supprimés si besoin). Ici des questions se posent. Notre-Dame est un bâtiment médiéval dans son essence mais beaucoup modifié au XIXe. Quid de son état primitif ? Faut-il remonter une flèche XIIIe ? La flèche XIXe ? Et pourquoi pas une flèche XXIe ? Car finalement, Notre-Dame de Paris, comme beaucoup de nos Monuments Historiques, n’a pas été bâti en 5 ans et le bâtiment originel ou primitif n’existe tout simplement pas. C’est une vue de l’esprit. Ce bâtiment a vécu à travers les siècles et peut encore le faire. Pourquoi figer ce bâtiment au XIXe ? Une restauration de Notre-Dame bien évidemment respectueuse du reste du bâtiment mais avec des techniques actuelles serait à mon sens souhaitable. 

 

Emmanuel Macron et Edouard Philippe ont tout deux déclaré que la cathédrale serait rebâtie intégralement en cinq ans et qu’elle serait « encore plus belle qu’avant ». Est-ce possible selon vous ?

 

Cette annonce d’Emmanuel Macron, au lendemain de l’incendie m’a beaucoup étonnée. En effet, les pierres de Notre-Dame refroidissaient tout juste, que déjà le politique s’emparait du sujet en faisant des annonces sorties de nulle part et surtout sans le moindre fondement. Autant on peut estimer une fourchette restreinte pour une construction neuve, autant pour la restauration d’un bâtiment qui a autant souffert, il faut attendre la phase de consolidation et de diagnostic pour ensuite avoir une visibilité sur le chantier futur. Concrètement ce délai de 5 ans est intenable et beaucoup trop court, si on veut mener une restauration qui soit la plus pertinente et la plus qualitative possible. Elle doit être faite à son rythme et avec bien sûr les meilleurs spécialistes. Le délai d’une dizaine d’années me semble beaucoup plus réaliste.

 

Le patrimoine français est, oui en danger. Nous avons la chance d’avoir de nombreux spécialistes formés aux questions patrimoniales fort heureusement. Cependant, le soucis majeur reste le manque de moyens  financiers qui font que de nombreux bâtiments son laissés à l’abandon, tombent en ruines, sont parfois détruits ou alors vendus à des particuliers. La situation est assez critique.

 

Ce qui pourrait être possible cependant, c’est que dans 5 ans Notre-Dame puisse être ré-ouverte au public, avec une nouvelle couverture, si le matériau de la nouvelle charpente choisi permet une mise en œuvre  rapide, tel que le fer, le béton ou autre. Mais elle sera dans ce cas, toujours en restauration et le chantier, en cours. Après, si cette annonce n’est que de la communication politique et n’a pas d’incidence concrète, ce n’est pas un problème, mais la volonté du président de mettre en place une loi d’exception pour Notre-Dame ne me donne pas cette impression. Concrètement, si ce délai de 5 ans devient une réalité, qu’une loi d’exception, faisant fi des lois qui régissent les Monuments Historiques en France et que ce concours international concernant la flèche deviennent réalité, je m’inquiète pour son sort. Ces choix me semblent au moins, voir beaucoup plus dangereux que l’incendie en lui même. Une tribune de 1170 spécialistes de la question va justement être publiée dans les pages du Figaro, adressée au président.

 

Avant l’incendie, Notre-Dame était-elle déjà la cathédrale idéalisée par Eugène Viollet-le-Duc ?

 

Même si Notre-Dame a bénéficié d’une importante campagne de restauration en partie par Viollet-le-Duc et d’autres architectes tels que Lassus au XIXe, elle est loin d’être la cathédrale idéale qu’il a pu projeter et dont nous retrouvons une gravure dans son Dictionnaire raisonné de l’architecture française. Cette cathédrale idéale de Viollet-le-Duc s’inspire  de l’idéal de l’architecture gothique qui  est d’avoir le plus de lumière possible. Son bâtiment idéal est donc vertical, très haut et élancé, avec 7 flèches se dressant vers le ciel.

Dans son romantisme relatif au XIXe, il donne aussi une place importante aux sculptures.  Dans sa restauration, il a effectué des modifications essentiellement sur la façade, concernant les portails et les statues, et forcément sa flèche qui a aujourd’hui disparue. Cependant, une gravure de son Projet d’achèvement des tours de Notre-Dame nous montre qu’il a en toute logique voulu « terminer » le bâtiment auquel il manque les flèches coiffant les tours. Notre-Dame de Paris, malgré toutes ses qualités architecturales, reste une cathédrale  qui est beaucoup moins élancée, verticale que d’autres en France. Quelque peu éloigné de sa cathédrale idéale donc.

 

Le patrimoine français est dit en danger par ceux qui l’aiment et qui travaillent à sa protection. Qu’en pensez-vous ?

 

Le patrimoine français est, oui en danger. Nous avons la chance d’avoir de nombreux spécialistes formés aux questions patrimoniales fort heureusement. Cependant, le soucis majeur reste le manque de moyens  financiers qui font que de nombreux bâtiments son laissés à l’abandon, tombent en ruines, sont parfois détruits ou alors vendus à des particuliers. La situation est assez critique, et si une petite partie des monuments les plus remarquables concentrent de nombreux fonds et actions, une bonne partie du reste du patrimoine français, lui, se meurt.Enfin, quand il y a des restaurations effectuées, on observe un manque de main d’œuvre qualifiée et passionnée dans les métiers de la restauration, et le manque de moyen et de temps alloués aux entreprises qui, de fait, bricolent et bâclent dans beaucoup de cas. J’espère que ce drame fera prendre conscience à l’ensemble de la population et au politique de l’importance du patrimoine de notre pays.

 

La France a-t-elle suffisamment d’artisans pour reconstruire Notre-Dame sans aides extérieures ?

 

La France semble en effet peiner à trouver les artisans nécessaires à ces chantiers de restauration. La faute en incombe à deux facteurs majeurs :

Ces métiers n’attirent pas suffisamment de jeunes, soit par leur dimension passéiste, soit par leur pénibilité, soit par leur manque de considération. Ce sont pourtant des métiers magnifiques d’accomplissement de soi et il appartient aux acteurs de cette filières de changer l’image de ces métiers.
Les crédits alloués aux restaurations sont bien trop maigres et ne permettent pas à beaucoup d’entreprise de se développer. De fait, il y a une sorte de goulet d’étranglement et il est aberrant de voir que le secteur de la pierre, par exemple, est divisé entre trois ou quatre grandes entreprises, alors qu’il devrait y en avoir beaucoup plus.

 

Lire aussi : Éloge du temps long

 

Maintenant il ne faut pas compter sur l’aide extérieure comme sur un remède miracle : s’il existe de bons artisans à l’étranger, la France est néanmoins l’un des derniers Pays dans lequel l’artisanat est encore au niveau. Notre système d’apprentissage a en partie sauvé de nombreux savoirs faire qui ont, dans d’autres pays complètement disparus, victime d’une modernisation des techniques à marche forcée, dictée par les besoins des entreprises modernes. La France a su, dans son artisanat, se tenir hors du temps et des tendances et elle aura bien du mal à trouver les artisans possédant les bons savoirs faire et la technicité requise dans d’autre pays. Il ne faut donc pas aller chercher ailleurs ce que nous pourrions former chez nous.

 

Propos recueillis par Gabriel Robin

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