L’Europe centrale et de l’Est est sous la menace. Elle craint une intervention militaire russe en Ukraine. On entend souvent en France des reproches formulés contre les pays de Visegrad ou les États baltes fidèles à l’OTAN. Ces nations historiques issues du démantèlement de l’URSS seraient les « laquais » des Américains et les supplétifs des visées impérialistes de l’Oncle Sam. Mais comment leur en vouloir ? Ainsi que l’a rappelé Raphaël Chauvancy dans un article donné au site Theatrum Belli : « Le principal argument du leadership américain en Europe est la garantie nucléaire. A rebours des idées reçues, elle est pourtant à peu près nulle. L’hypothétique invasion d’un État européen par une puissance majeure ne pourrait être, à ce jour, que le fait de la Russie. »
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Évidemment, les Américains ont eu longtemps intérêt à alimenter la méfiance européenne à l’encontre de la Russie. La puissance russe fait trembler à Varsovie comme à Berlin, où l’armée allemande, ou plutôt ce qu’il en reste, fait peine à voir. Faute de pouvoir compter sur une défense européenne en état de marche, de laquelle la France, forte de sa dissuasion nucléaire comme de ses capacités opérationnelles, devrait prendre la direction, nos alliés européens doivent se soumettre ) la narration du complexe militaro-industriel américain qui a des armes à vendre. Les Américains se moquent pourtant profondément du sort de Kiev ou d’une éventuelle invasion des « petits pays » de l’Union européenne, leurs forces étant présentement concentrées dans le Pacifique.
La troisième voie que la France prétend incarner dépend entièrement de nos moyens et de nos relations avec l’ensemble des pays de l’Union européenne. Le jeu en solitaire d’Emmanuel Macron, humilié à Moscou et à Kiev dans la même semaine, n’est pas de nature à avancer en ce sens. Au côté d’Angela Merkel, François Hollande avait paradoxalement beaucoup mieux tenu la barre que Jupiter en obtenant à Minsk en septembre 2014 le protocole puis le mémorandum de Minsk. Les discussions sur le format dit Normandie ont abouti à la négociation d’un cessez-le-feu bilatéral, ou encore au retrait des armes lourdes de la ligne de contact. Du concret.
C’est en faisant respecter son identité et sa civilisation, en ayant pour objectif de ne pas subir l’invasion migratoire, que l’Union européenne pourrait enfin montrer son utilité et devenir une puissance qui compte
Emmanuel Macron, lui, a reçu Vladimir Poutine en grandes pompes à Versailles … pour se voir quelques années plus tard relégué au bout d’une immense table en marbre. La Russie de Poutine prolonge une politique classique des Tsars que l’URSS a érigé en doctrine : annexer et slaviser les peuples voisins. En Géorgie, en Biélorussie, en Ukraine, ou en Arménie en appuyant à bas bruit l’Azerbaïdjan, pour des raisons parfois valables, la Russie a repris confiance. Depuis une quinzaine d’années, remis de la période post-soviétique, soudés autour d’un dirigeant malin qui compense les faiblesses intrinsèques de sa nation par une audacieuse politique, les Russes avancent leurs pions sans que nous soyons en mesure de nous y opposer intelligemment et de trouver un terrain d’entente.
Un constat qui peut d’ailleurs être étendu à la récente guerre de Syrie, durant laquelle la Russie a profité des errements occidentaux pour tenter de retrouver un accès aux mers chaudes … vieux rêve impérial grand-russe qui provoqua la guerre de Crimée de 1853 à 1856. L’Histoire se répète, mais la France et l’Europe de 2022 ne sont plus que l’ombre de ce qu’elles furent. Puissances de rangs moyens prises séparément, les nations européennes n’ont pas de politique commune efficace au sein de la très faible Union européenne. Elles auraient pourtant tout intérêt à agir ensemble, notamment pour lutter contre l’immigration massive.
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C’est en faisant respecter son identité et sa civilisation, en ayant pour objectif de ne pas subir l’invasion migratoire, que l’Union européenne pourrait enfin montrer son utilité et devenir une puissance qui compte. Nous risquons autrement d’être pris au piège de Thucydide, écrasés entre l’Empire américain et l’axe sino-russe qui, s’il semble purement conjoncturel, pourrait bien être amené à durer. Au Mali, l’arrivée de la force Wagner signe ainsi la volonté sino-russe de nous chasser progressivement d’un territoire de grand intérêt naturel pour notre politique étrangère. Le tout sur fond de contre-propagande efficace face à laquelle la communication de l’omni-président Macron sera sans effets.
Visegrad représente un espoir majeur pour la France et l’Europe. Sorte de reconstitution informelle et conservatrice de feu l’Autriche-Hongrie, cet ensemble de nations pourrait tempérer l’élan russe de reconstitution d’un glacis soviétique, faisant la démonstration à Moscou d’une Europe qui ne serait ni une menace ni le télégraphiste de Washington … mais d’une Europe unie, quelles que puissent être les oppositions russes. Il faudra pour cela établir un dialogue exigeant et rompre avec notre déclin.