Les commentateurs du débat ont dit d’Emmanuel Macron qu’il avait adopté une posture offensive. Rien n’est moins vrai, le président a joué tout du long en défense. Le communicant Philippe Moreau-Chevrolet, déjà invité dans ces colonnes, l’a parfaitement résumé en un seul message sur Twitter : « Emmanuel Macron a un truc très efficace et remarquable dans le débat : il inverse la charge du bilan. En mettant Marine Le Pen sans cesse face à ses votes passés, c’est elle qui a un bilan. Et pas lui ». Ce fut effectivement le tour de passe-passe rhétorique d’un débatteur adoptant la bien connue tactique du « passif-agressif », attendant les éventuelles fautes de sa contradictrice pour y rétorquer et l’étouffer sous des considérations purement techniques.
Mieux préparée qu’en 2017, plus disposée psychologiquement aussi, Marine Le Pen a voulu montrer son calme et son empathie face à un Emmanuel Macron que d’aucuns auront trouvé arrogant. De fait, son langage non-verbal ne dégageait pas une impression d’humilité mais bien les certitudes d’un homme certain de ses qualités, de sa grande mémoire, du fonctionnement fluide de sa mécanique cérébrale, étalant son charme de commercial pour épater la ménagère devant le poste. Il y avait là quelque chose d’implacable ou de gênant, selon votre sensibilité personnelle. Comme si la part transgressive du personnage Macron était de retour, libre de ne pas véritablement s’expliquer sur son bilan ou ses manques, moins encore sur ce qu’il prépare pour le quinquennat suivant.
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Ses angles morts n’ont ainsi été abordés qu’en deuxième partie du débat, moment où Marine Le Pen a montré les qualités qu’on lui connaissait déjà de résilience et de combativité. Ainsi de sa vision pour le moins réductrice de la démocratie représentative, ignorant le recours au référendum, perçu comme dangereusement porteur de germes séditieux, ce qui, pour un président faisant constamment référence au général de Gaulle, ne manque pas de surprendre, ou encore, de son échec personnel à imposer la proportionnelle au Sénat LR – peut-être, sûrement lié à un manque de volonté personnelle -. Sur la question de l’immigration, il s’est aussi largement défaussé. Idem sur l’insécurité, où confronté à la criminalité qui empoisonne la vie des Français, il a préféré s’exprimer sur … la cybersécurité. Un vrai problème, certes, mais pas le plus immédiat pour nos compatriotes.
Soucieuse de ne pas commettre d’impairs, Marine Le Pen a souvent joué la sécurité. Son registre tenait effectivement de la « mère de famille », posture qu’elle revendique et qui correspond certainement à sa personnalité profonde. Elle a défendu les intérêts des gens qui lui ont fait confiance au premier tour, de cette France des oubliés qui n’a longtemps pas eu les faveurs de l’exposition médiatique, cette France que certains éditorialistes définissent parfois avec un manque cruel de sensibilité comme étant « moche », parce que remplie de maisons individuelles, de zones commerciales, sans âme et sans aspérité, sorte d’intermonde entre les métropoles connectées et l’éternelle ruralité gauloise.
Marine Le Pen a voulu montrer son calme et son empathie face à un Emmanuel Macron que d’aucuns auront trouvé arrogant
Face aux récriminations, aux cris de souffrance, aux appels à l’aide de cette France des actifs qui se sent négligée, Emmanuel Macron oppose une forme de fin de non-recevoir : there is no alternative contre la marche du monde, contre les bouleversements anthropologiques. Vous avez l’impression d’un déclassement ? C’est un simple sentiment de pauvreté. Vous pensez que nous ne vivons plus paisiblement ? C’est aussi un sentiment, d’insécurité cette fois-ci. Personne ne semble d’ailleurs en mesure d’exposer les nombreuses contradictions du macronisme, son tropisme gestionnaire qui empêche toute projection visionnaire.
Ainsi du supposé « libéralisme » d’Emmanuel Macron qui échoue sur l’expansion perpétuelle du domaine de l’administration, l’URRSAF, les prélèvements directs, la lenteur judiciaire, ou, last but not least, la constante réduction des libertés publiques et individuelles. Autant de domaines sur lesquels Emmanuel Macron n’a pas eu à s’exprimer, pas plus que sur l’uberisation du travail. Aux 23 licornes, véritables réussites dont nous devons être fiers, font face les milliers d’auto-entrepreneurs pressurés, les TPE-PME qui ne savent même pas comment se placer en faillite de la meilleure manière possible, tous ceux qui n’arrivent pas à pratiquer l’optimisation fiscale qui demande des bataillons d’avocats et de conseils aussi ruineux que compétents. Bref, la France qui se lève tôt, qui travaille et qui ne parvient pas à se sortir véritablement la tête de l’eau.
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On pourrait aussi s’étendre sur la politique étrangère d’Emmanuel Macron, dont il n’a dit que très peu lors du débat, se contentant d’affirmer qu’il s’était rendu à de multiples reprises en Afrique. Il n’est pas responsable à lui tout seul du recul français en Afrique, convenons-en, mais quelle est sa vision propre, sa valeur ajoutée ? Et l’on pourrait dérouler de la sorte sur toutes les grandes interrogations du temps. Sa politique ne suffit pas : prolonger les courbes ne redonnera pas un second souffle authentique à un pays fracturé à l’extrême, au bord de la rupture anthropologique et civilisationnelle. La révolution industrielle a consacré progressivement de nouvelles idéologies, de nouvelles manières d’aborder la direction des choses et des hommes ; libéralisme ou communisme.
Quid du monde de demain ? Quelle idée propose l’Occident à part le wokisme ou la révolution verte ? C’est ce défi, qui implique de réconcilier les urbains et les autres, de rattacher les fils distendus des communautés ethnoculturelles et des classes sociales antagonistes, qui doit être relevé. La droite, qu’elle soit nationale, populaire, libérale ou conservatrice, et la gauche avec elle, auront demain à y répondre. Le nouveau monde vanté par Emmanuel Macron est déjà vieux.