
C'est quoi un complotiste ? C'est quelqu’un qui n’arrive pas à se mettre au niveau de l'événement, à le comprendre tel qu'il se présente et tel qu’il évolue et qui se place soit au-dessous de lui (« c’est une grippette qui tue moins que les autres maladies ») soit au-dessus (« c’est une pandémie organisée par les riches de ce monde pour faire crever les pauvres »). C’est quelqu’un qui ne supporte pas le nouveau, l’inconnu, l'incertain – soit tout ce qui oblige à l'expérimentation, au tâtonnement, au « peut-être », au « oui » puis au « non », au « on arrête ça et on réessaye ça ». C’est quelqu’un qui incarne à la lettre la première phrase de Masse et puissance d’Elias Canetti : « Il n'est rien que l'homme redoute davantage que le contact de l'inconnu ».
Mais c’est aussi un individualiste forcené souvent apolitique (ou trop politique) qui pense de lui-même par lui-même pour lui-même avec lui-même et contre le monde entier. En même temps, c'est un obsédé de la causalité, un hystérique de la culpabilité à qui il faut à tout prix et tout de suite un coupable et comme il n'est plus de bon ton d'être antisémite, il cherche alors un capitaliste, un politicien, un sataniste qui fera l'affaire – alors que le diabolique (c’est-à-dire la bêtise) est plutôt de son côté. Comme Keyser Söze dans Usual suspects, le complotiste est celui qui refait l'histoire, qui invente ses propres raisons, qui dramatise tel détail contre l’ensemble – quoiqu’interprétant tout de travers et allant jusqu’à inverser les affects. Car c’est un trouillard qui se croit très courageux et qui n’a pas compris que c’est bien parce qu’il crève de ne pas être « rassuré » qu’il est du côté des « rassuristes » – paumé paniqué qui rame devant l'adversité. C’est enfin quelqu’un qui soutient mordicus que l’Histoire lui rendra raison alors que c’est lui qui passera pour l’obscurantiste affolé de la période. [...]












