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Éditorial monde de l’été : Le brouillard de la guerre

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Publié le

8 juillet 2022

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Le numéro 55 est disponible depuis ce matin en kiosque, par abonnement, et à la demande sur notre site. Voici l’éditorial monde, par Laurent Gayard.
édito monde

Au troisième mois de « l’opération spéciale » contre l’Ukraine, Vladimir Poutine n’a plus le luxe d’entrer en guerre, ni la possibilité de se retirer du conflit, situation paradoxale qui est la conséquence de la première phase du conflit, très coûteuse pour son armée. D’après le site néerlandais oryxspioenkop l’armée russe a, à ce jour, perdu près de 4 500 véhicules de tout type, dont près de 800 chars de combat et les renseignements américains estiment quant à eux que la Russie a perdu près de 1 000 tanks au total dans la guerre.

D’après l’index Military Balance publié chaque année par l’International Institute for Strategic Studies, la Russie possédait avant la guerre un peu moins de 3 500 chars de bataille en service d’active. À ceux-ci, il convient d’ajouter la « réserve », censée compter un peu moins de 13 000 tanks de tout âge, comme ces vénérables T-62, conçus en 1961 et envoyés en renfort vers le front ukrainien en juin. Une simple opération arithmétique permet d’estimer qu’à raison de 800 tanks détruits en 100 jours de conflit, la Russie perd près de 8 tanks par jour.

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Maintenant que le Kremlin a recentré ses efforts sur le Donbass, l’armée ukrainienne paie elle aussi le prix fort en pertes humaines et matérielles : 100 à 200 soldats tués par jour et plus de 400 chars, selon une estimation donnée par le gouvernement ukrainien lui-même. C’est toujours deux fois moins (au minimum) que les pertes russes en chars d’assaut mais c’est un effort considérable pour l’Ukraine qui possédait au début du conflit trois fois moins de tanks et de soldats que la Russie.

Tandis que les belligérants s’enlisent, ils entrent dans cette zone d’incertitude que Clausewitz nomme « le brouillard de la guerre », dans lequel « toutes les actions doivent dans une certaine mesure être planifiées avec une légère zone d’ombre qui, comme l’effet d’un brouillard ou d’un clair de lune, donne aux choses des dimensions exagérées ou non naturelles. ».

Pour Vladimir Poutine, l’enlisement pose la question d’un changement d’échelle du conflit et des conséquences prévisibles pour la société russe

Pour Vladimir Poutine, l’enlisement pose la question d’un changement d’échelle du conflit et des conséquences prévisibles pour la société russe. Jusqu’à présent, les coups de poker poutiniens, que cela soit en Géorgie en 2008 ou en Crimée en 2014, ont permis au président de bénéficier d’un soutien populaire renforcé avec un impact limité de ces crises sur la société. L’engagement de la Russie dans le conflit au long cours au Donbass pour soutenir les séparatistes pro-russes n’a pas non plus chamboulé la vie quotidienne de 146 millions de Russes, et l’« opération spéciale » déclenchée le 24 février ne devait pas non plus avoir de réelles conséquences pour les citoyens du plus grand pays de monde.

Plus de trois mois après le déclenchement des hostilités par la Russie, la donne a changé car l’opération spéciale s’est transformée en véritable guerre, avec la perspective pour Vladimir Poutine de devoir puiser de façon plus conséquente dans les ressources du pays pour soutenir l’effort de guerre, voire de faire appel à la conscription. Mais la mobilisation est justement ce que Vladimir Poutine ne peut pas politiquement se permettre. Il faudrait dès lors admettre que la Russie se trouve bien en guerre contre un pays « frère » et reconsidérer toute l’architecture de communication du Kremlin pour la présenter comme un élément d’une plus large confrontation avec l’occident.

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Pour l’occident, l’étalement de la guerre dans le temps signifie un soutien logistique et matériel accru à l’Ukraine. Même si l’OTAN ou les armées européennes ou américaines se gardent bien d’intervenir directement sur le conflit, l’Europe, et les États-Unis, vont entrer bon gré mal gré dans un schéma d’économie de guerre. Dès le mois d’avril, les stratèges occidentaux se sont montrés préoccupés par la diminution de leurs stocks d’armes pour approvisionner les forces ukrainiennes.

Même préoccupation en ce qui concerne le matériel livré à l’Ukraine. Le ministre des Armées Sébastien Lecornu a ainsi demandé à l’industriel Nexter, qui fabrique les fameux canons Caesar d’accélérer sa production pour atteindre plus de 40 unités par an, après que 18 unités de ce canon de 155 mm ultramoderne ont été prélevées sur les stocks de l’armée de terre. Le conflit qui se prolonge en Ukraine plonge toute l’Europe, loin d’être préparée à faire face de nouveau à une guerre de grande ampleur, dans le « brouillard de la guerre ». Le brouillard de la guerre est aussi, et avant tout, un brouillard économique que l’été ne dissipera certainement pas.

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