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Enquête : Ras l’Front !

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Publié le

3 avril 2018

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MLP

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« Ras l’Front! », clamaient les gauchistes dans les années 1990. « Ras l’Front! » a décidé de dire haut et fort Marine Le Pen, décidée à procéder à sa mise à mort. Ce qui est nouveau, c’est qu’elle passe à l’acte. Parce que Marine Le Pen n’a jamais supporté le Front national.

 

Fut un temps où le Front national menaçait la République, qui est, comme chacun sait, le bien le plus sacré qui ait jamais été donné aux Français. Il la menaçait bien plus qu’il ne saurait le faire aujourd’hui. C’est en tout cas ce qui se disait. Nous étions au XXe siècle dont la mémoire des seules périodes qu’il est séant de retenir était toujours vivace, et pour cause, et, sur le thème du « Plus jamais ça ! », s’était mis en place une organisation du nom de Ras l’front. Elle fonctionnait en réseau, traquait en tout point du territoire la bête immonde resurgie du ventre toujours fécond de la social-démocratie selon la formule célébrissime du dramaturge allemand Bertolt Brecht (que celui-ci n’a jamais écrite mais qui reste fédératrice).

 

Tout au long des années 1990, Ras l’front, piloté plus ou moins discrètement par des militants de la Ligue communiste révolutionnaire alliés pour la cause commune à de tout aussi charmants garçons issus eux du parti communiste, a mené une guerre de guérilla au parti alors présidé par Jean-Marie Le Pen. Son « militantisme atypique », comme l’a écrit René Monzat en une formule qui relève de la plaidoirie, le conduisait à perturber les réunions publiques du FN ou à organiser des contre-manifestations plus ou moins culturelles mais toujours marquées par son « projet militant monothématique » (Monzat toujours) : l’antifascisme. Pour résumer, c’était les « antifas » d’aujourd’hui mais en bien plus nombreux, avec jusqu’à près de deux cents comités locaux à travers la France et des appuis considérables dans les milieux que l’on dit intellectuels.

C’était les « antifas » d’aujourd’hui mais en bien plus nombreux, avec jusqu’à près de deux cents comités locaux à travers la France.

Lionel Jospin n’ayant pas encore déclaré qu’il n’y avait jamais eu, en tout cas durant la période de la montée du Front national, de menace fasciste en France, et que par conséquent « tout antifascisme n’était que du théâtre », ça fonctionnait à merveille jusqu’à ce que, d’une part, les piolets soient ressortis entre « stals » et « trotskards », et que, d’autre part, la scission de 1998 n’amène ces valeureux combattants à considérer que, finalement, ce Bruno Mégret avait fait le boulot à leur place. Ils s’éparpillèrent, se démobilisèrent, rentrèrent chez eux, le sentiment du devoir accompli.

 

Lire aussi : Mémoires de Jean-Marie Le Pen : une histoire française

 

Au moment où Ras l’front se désintègre, Philippe Olivier, lui aussi, en a ras le bol du Front national et tout autant de Jean-Marie Le Pen. L’époux de Marie-Caroline, sœur aînée de Marine, connaît une brillante ascension au sein du parti mais veut aller plus vite, plus haut, et voit le parti et son vieux chef comme autant de boulets. Auprès de Bruno Mégret, il pousse au crime. Et organise les grandes manœuvres. Un ancien haut dirigeant du MNR, le parti que va créer Mégret, est formel: « La fatwa contre Marine Le Pen au congrès de Strasbourg, c’est lui qui l’a pilotée de A à Z. »

 

La garde rouge

 

Au congrès de Strasbourg du Front national, qui se tient en 1997, Marine Le Pen s’est portée candidate au comité central. La fille du chef honni, novice en politique, est une cible idéale. Ce qu’on ne peut faire payer au père, c’est fifille qui va se le prendre. Pleine poire. Et, par ricochet, le père va comprendre qui commande maintenant. Philippe Olivier fait passer le mot d’ordre auprès des mégrétistes: pas une voix pour Marine Le Pen. Le succès dépasse les attentes: on la voulait mal élue, elle n’est pas élue du tout! Banco, deux en un et faites sauter la banque : une baffe pour la fille, une humiliation pour le chef ! Lequel devra la repêcher sur son quota personnel pour qu’elle siège tout de même au comité central et, surtout, pour tenter de montrer qu’il est toujours seul maître à bord.

 

Durant les mois et les années qui vont suivre la scission, Marine Le Pen, ainsi rejetée, ne ménagera pas son soutien à Jean-Marie Le Pen. Certes, elle est payée pour cela, puisqu’elle travaille au service juridique du FN qui ne va pas manquer de travail pour sauver, et le nom, et la flamme, mais son engagement est total au service du parti et contre les « félons ». Jean-Marie Le Pen dit maintenant qu’à la réflexion, quand elle œuvrait au siège du FN, elle s’était montrée « assez autoritaire » et qu’il ne s’en était « pas aperçu ». Au Paquebot, pourtant, on l’appelait la « garde rouge ».

Au Paquebot, pourtant, on appelait Marine le Pen la « garde rouge ».

Néanmoins, peu à peu, Marine Le Pen va en venir à détester elle aussi le FN. D’abord parce qu’elle voit bien que les idées qui y sont majoritaires parmi ses cadres datent d’une autre époque et qu’elle ne les partage pas. Ensuite parce qu’elle ne peut que constater que ceux-ci, mais les militants aussi, simples adhérents, font primer leur fidélité à Jean-Marie Le Pen sur toute autre considération, comme celles de la stratégie, de la tactique, et, bien plus profondément, du nécessaire renouvellement des idées et des combats à mener.

Peu à peu, Marine Le Pen va en venir à détester elle aussi le FN.

Lorsque Marine Le Pen émerge après la présidentielle de 2002, ayant crevé l’écran au soir du second tour d’une défaite que personne ne voulait aller commenter (Chirac : 82,21 %, Le Pen: 17,79 %) et qu’elle commence à réfléchir sérieusement à une trajectoire personnelle, elle comprend que tant qu’elle ne pourra pas se défaire du Front national, il lui faudra trouver les moyens de le contourner. Et pour cela, il n’y a que deux solutions: les structures parallèles et l’usage des médias. De 2002 à ce jour, même si elle a mis entretemps la main sur le Front national, elle n’y aura pas dérogé.

 

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Dès 2002, Marine Le Pen prend ainsi le contrôle, avec l’aval de Samuel Maréchal qui l’avait créée, de l’association Génération Le Pen à laquelle elle ajoutera un s (à Génération, pas à Le Pen) afin d’éviter les accusations de jeunisme auxquelles aurait pu prêter un intitulé faisant écho au « Génération Mitterrand » imaginé par Jacques Seguéla en 1988. La rupture avec Le Pen n’a pas encore eu lieu, celle avec le Front national, si, déjà. Générations Le Pen a son propre journal, L’Aviso, ses piliers qui sont et resteront des fidèles (Louis Aliot, Jean-Lin Lacapelle), sa ligne : « dédiaboliser ».

 

Parce qu’il faut du temps pour accepter en son for intérieur qu’il ne peut y avoir de « dédiabolisation » sans rupture avec le diable, et que le diable, c’est le père, Générations Le Pen cherche encore, parce que Marine Le Pen le croit sincèrement, à montrer que la pensée de Le Pen n’est pas celle que l’on veut faire croire, à montrer le « vrai Le Pen » qui est masqué, dénaturé, non seulement par la propagande hostile mais aussi, dans le non-dit, par un parti qui le ramène sans cesse à ses vieux démons.

 

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Mais le Front national est une déjà vieille maison. Il tient bon, d’autant que les coups de boutoir de Générations Le Pen ne sont pas très rudes. Marine Le Pen a vendu à son père l’idée que L’Aviso agissait, comme son nom l’indique, à côté de lui et pas contre lui, à côté du Front national et pas contre le Front national, elle s’y tient. Il distille, et les colloques de son organisation aussi, une image positive et moderne de Marine Le Pen et ce n’est déjà pas si mal, mais il faudra autre chose.

 

Cette autre chose, Marine Le Pen croit le trouver en 2008 quand elle suscite la création d’Énergie Bleu Marine, préfiguration de ce que sera – ou se voudra – le Rassemblement Bleu Marine. Cette fois, elle n’en parle pas à son père, il pourrait mal le prendre. Il s’agit ni plus ni moins que de créer un réseau parallèle à la structure du Front national !

 

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Un embryon de parti, en fait, dont tous les membres seraient bien entendu des marinistes de stricte observance et qui a pour but, selon l’objet social déclaré en préfecture, la « défense de l’identité et de la nation française ainsi que le soutien à la candidature nationale à l’élection présidentielle de 2012 ».

 

PME Unipersonnelle

 

Si le siège social d’Énergie Bleu Marine se situe à Draveil, dans l’Essonne, c’est pour une raison qui ne doit rien au hasard : il s’agit du domicile de Philippe Olivier, qui en est en fait le grand manitou ! Coucou le revoilou ! Quand Jean-Marie Le Pen apprendra l’existence de cette structure et que Philippe Olivier est à la manœuvre, d’abord il refusera de le croire, ensuite il dira à qui de droit ce qu’il en pense, enfin il sommera Marine Le Pen de fermer sans délai cette PME unipersonnelle.

 

Faute de structure dédiée, Marine Le Pen s’engagera donc dans la conquête du Front national, du moins de sa présidence, en usant de la méthode qui avait si bien réussi à Ségolène Royal pour être désignée candidate du Parti socialiste à la présidentielle de 2007 : la conquête de l’interne (le vote des adhérents) par l’externe (le poids médiatique et sondagier). Vaincre les résistances internes par l’enthousiasme externe, tel était le défi. Avec Bruno Gollnisch comme adversaire se refusant, pour des raisons qui se respectent, à user des méthodes qui aurait été appropriées et à s’engager sur le terrain polémique, ce fut assez facile.

Marine Le Pen s’engagera donc dans la conquête du Front national, du moins de sa présidence, en usant de la méthode qui avait si bien réussi à Ségolène Royal pour être désignée candidate du Parti socialiste à la présidentielle de 2007 : la conquête de l’interne (le vote des adhérents) par l’externe (le poids médiatique et sondagier).

Sept années à la tête du Front national n’auront pourtant pas permis à Marine Le Pen de se constituer un appareil entièrement à sa main, totalement sur sa ligne – puisque, selon ses propres termes, la ligne du FN est celle qu’elle lui a « imposée » –, et elle estime que celle-ci est parasitée par la (trop) longue histoire du Front national. Les adhérents ne veulent pas d’un changement de nom? Peu importe, on fera œuvre didactique et ils comprendront.

 

La disparition du Front national n’aura pas lieu au congrès de Lille. Trop risqué. Trop frontal en quelque sorte devant une assemblée militante et en présence de caméras et micros. À Lille sera adoptée une réforme des statuts qui autorisera le parti à faire voter ses adhérents par voie électronique – ce qui avait déjà été tenté mais refusé par la justice saisie par un juriste sourcilleux du nom… de Jean-Marie Le Pen. Ce vote aura lieu « le plus rapidement possible » a précisé Marine Le Pen.

Sept années à la tête du Front national n’auront pourtant pas permis à Marine Le Pen de se constituer un appareil entièrement à sa main.

Fin 2017, les salariés du Front national avaient été informés par simple note de service que Marine Le Pen avait nommé Philippe Olivier comme « conseiller spécial ». Il est en effet spécial que, vingt ans plus tard, l’assassin revienne sur les lieux du crime qu’il n’était pas parvenu à commettre pour le perpétrer pour de bon. Et encore plus spécial qu’il le fasse avec l’active complicité de celle qu’il pensait avoir tuée il y a trente ans.

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