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Europe-Russie : pacifier les frontières et bâtir un arc civilisationnel

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Publié le

1 novembre 2020

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Trente ans après la fin de la Guerre froide, les relations entre l’Europe et la Russie restent conflictuelles. Pour des raisons géopolitiques qui n’ont plus lieu d’être, et qui empêchent le rapprochement nécessaire et salutaire de l’est et de l’ouest du Vieux continent, prélude à l’aboutissement d’une unification civilisationnelle.
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La chute de l’URSS, le 25 décembre 1991, promit à l’Europe de récolter les « dividendes de la paix ». Pourtant, même si la menace d’un Armageddon nucléaire survenant sur le sol européen s’est éloignée, la conflictualité reste présente au quotidien. Il s’agit donc de démêler les nœuds qui empêchent cette nouvelle relation euro-russe de naître.

Du fait de la relation spéciale entretenue par la Russie et la Finlande durant la Guerre froide, les frontières nordiques semblent aujourd’hui sûres, stables et peu susceptibles de devenir le lieu d’un conflit. Les trois pays baltes se sentent quant à eux sous la menace d’une intervention russe sous un prétexte futile mais leur statut de membre de l’Union européenne et de l’Otan les met en théorie à l’abri d’une telle éventualité. De même pour la Pologne, qui ne cesse d’acheter du matériel de guerre américain et d’héberger des bases américaines, y compris le bouclier antimissile, pour se prémunir de toutes velléités territoriales russes.

La première question en suspens est celle de la ville de Kaliningrad. Cette exclave russe, séparée du reste du territoire par la Lituanie et la Biélorussie, n’est en réalité aucunement une ville russe mais une prise de guerre. Ce sont les chevaliers teutoniques qui, en 1255, entamèrent la construction du château autour duquel se formera la ville de Königsberg. Dès lors, l’influence exercée sur ce territoire fut principalement germanique. Au fil des siècles, Königsberg deviendra le cœur de la puissance prussienne, jusqu’à ce que les conséquences de la Première Guerre mondiale créent le corridor de Dantzig, prétexte à l’expansionnisme hitlérien. Du 6 au 9 avril 1945, l’Armée rouge attaque Königsberg, farouchement défendue par une garnison allemande pourtant en sous-nombre. Appuyés par des bombardements anglo-américains, les Soviétiques s’emparent de la ville dont le cœur historique est ravagé par les combats. À la fin du conflit, l’URSS exige, en réparation des dommages, que le territoire de Königsberg, renommé Kaliningrad, devienne partie intégrante du territoire soviétique. Ce qui paraissait moins incongru au temps où Lituanie et Biélorussie faisaient partie de bloc soviétique l’est devenu au XXIe siècle. Cette enclave d’un demi-million d’habitants, désormais majoritairement russes, est aujourd’hui un territoire pauvre, sans guère d’attraits autres que la position géostratégique de la ville. Abritant une grande base navale de la flotte russe, Kaliningrad a longtemps permis à la Russie un accès à la mer Baltique qui ne soit pas pris par les glaces l’hiver. Mais la présence de hauts-fonds à proximité du port empêche les navires les plus lourds de s’y amarrer, limitant ainsi son intérêt stratégique. De plus, deux éléments relativisent désormais l’importance de ce port pour la puissance russe. D’une part, la mise en service de brise-glace nucléaires toujours plus puissants permet désormais d’ouvrir les mers gelées aux bâtiments commerciaux et militaires. D’autre part, le réchauffement climatique rend la banquise de plus en plus éparse et fragile tout au long de la côte nord de la Russie. Vladimir Poutine a lui-même identifié ces deux éléments qui sont au cœur de la nouvelle réflexion géostratégique russe concernant l’océan Arctique et la mer Baltique.

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Ainsi, malgré les déploiements de missiles russes dans l’enclave face au bouclier antimissile américain, la perte de Kaliningrad n’affaiblirait fondamentalement pas la puissance russe. Ce territoire pourrait être partagé entre Pologne et Lituanie, tout en reconnaissant l’influence historique et culturelle germanique qu’a connue Königsberg, patrie de Kant. Mais ses habitants russes ne devraient en aucun cas se sentir contraints au départ, contrairement aux populations allemandes chassées en 1945. Au contraire, une telle redéfinition géopolitique devrait être accompagnée d’une possibilité de relocalisation – subventionnée par les Européens – des populations russes en Russie dans le respect des personnes. À l’inverse, pour les Russes souhaitant rester sur ce territoire, il devrait leur être donné la possibilité de s’assimiler à la population polonaise ou lituanienne sans que leur droit à cultiver leur héritage culturel russe soit contesté. Une avancée importante vers la déconflictualité des frontières serait alors accomplie.

La Biélorussie est la deuxième question majeure de l’agenda diplomatique de l’Europe et  de la Russie. Cet État, ayant tant souffert des massacres commis par l’armée allemande, est resté, après la chute de cette dernière, à l’heure du KGB. Alexandre Loukachenko, autocrate dirigeant le pays depuis 26 ans, se trouve dans une situation plus difficile que jamais. À la suite des élections de juillet 2020, une large partie du peuple biélorusse se soulève pacifiquement et manifeste depuis lors. Loukachenko, qui craignait d’être avalé par l’ours russe en accusant ses opposants d’être « pro-russes » pendant la campagne, se voit désormais contraint de demander le soutien de Moscou face à la fronde populaire. Pourtant, le peuple biélorusse, si proche culturellement de son voisin, a soif de liberté et regarde vers l’Ouest. Si d’aventure la situation tournait à la confrontation armée, la Russie commettrait une énorme faute en intervenant militairement. Elle doit au contraire laisser les Biélorusses décider de leur destin. En laissant la Biélorussie s’ouvrir et s’ancrer au reste du continent européen, la Russie ferait preuve d’une grande maturité géopolitique, bénéfique à tous les peuples de la région, et s’assurerait que sa frontière biélorusse reste en paix.

Parmi les nombreux conflits gelés par l’héritage de la Guerre froide, celui de la Transnistrie, autoproclamée « République Moldave du Dniestr », est loin d’être résolu et constitue un troisième problème majeur. En effet, cet embryon d’État couvrant une petite région moldave n’est pas officiellement reconnu et n’est qu’un point de pression russe sur un État, la Moldavie, qui aspire également à se rapprocher de l’UE. Systématiquement, dès que la Moldavie engage des négociations diplomatiques avec les institutions européennes pour s’en rapprocher, la Transnistrie jure la plus grande fidélité au Kremlin. Celui-ci, qui pourtant ne reconnaît pas officiellement cet État, maintient sur son territoire plusieurs milliers d’hommes chargés de veiller sur les immenses dépôts d’armes et de munitions de l’ex-Armée rouge. Car cette « poudrière de l’Europe », dirigée par des autorités non reconnues, est une véritable zone grise où les trafiquants d’armes, voire les terroristes, peuvent venir s’approvisionner. Ainsi, la Russie, après avoir retiré ses hommes, démantelé ses bases et évacué les dépôts d’armes de la région, devrait laisser la région de Transnistrie revenir dans le giron de Chisinau, permettant ainsi au pays le plus pauvre du continent européen de se développer économiquement en bonne intelligence avec ses voisins, sans être sous la domination d’une puissance étrangère faisant peu de cas des intérêts du peuple.

En maintenant ses visées expansionnistes, elle légitimera davantage encore l’équipement en armes américaines de ses voisins et leur volonté de rejoindre l’OTAN

La quatrième et dernière question en suspens est la plus importante et la plus dangereuse depuis la Guerre froide. Après la chute du gouvernement de Viktor Ianoukovitch en 2004, le peuple ukrainien s’est résolument lancé dans une orientation pro-européenne visant à se soustraire à l’influence russe. Le peuple ukrainien, martyrisé lors du XXe siècle par la famine organisée par Staline, pillé et dévasté par les troupes allemandes en 1941-1944, puis à nouveau soumis au joug soviétique jusqu’en 1991, s’empare de sa chance et d’une réelle indépendance lors de la révolution orange de 2004. Mais dès 2010, le pro-russe Ianoukovitch revient au pouvoir et met fin en 2013 à l’accord d’association entre l’Union européenne et l’Ukraine, prélude à l’adhésion du pays à l’UE. La manœuvre déclenche une nouvelle révolte populaire des ukrainiens pro-européens, faisant fuir Ianoukovitch qui se réfugie en Russie. Les ukrainiens russophones présents dans l’est de l’Ukraine prennent peur que l’on conteste leur culture et soutiennent les mouvements sécessionistes. En Crimée, à partir du 28 février 2014, des troupes russes, cagoulées, sans insignes officiels, s’emparent par la force de toute la péninsule. Le 16 mars 2014, un référendum d’autodétermination est organisé, largement suspecté de fraudes, non reconnu par les autorités ukrainiennes et dénoncé par nombre d’acteurs internationaux. 96% des votants s’expriment en faveur du rattachement de la Crimée à la Russie.

Dans l’est de l’Ukraine sont proclamées les Républiques populaires de Donetsk et Lougansk qui souhaitent se détacher de l’Ukraine. L’armée ukrainienne intervient mais se heurte aux milices pro-russes, directement soutenues par l’armée russe. La guerre du Donbass qui se déclenche alors perdure jusqu’à aujourd’hui comme un conflit gelé. Après avoir, de la façon la plus illégale et illégitime qui soit, volé la Crimée à l’Ukraine, la Russie, sous l’impulsion de Vladimir Poutine, construit un gigantesque pont de 18 kilomètres reliant la péninsule à Krasnodar au-dessus de la mer d’Azov afin de signifier au monde entier l’appartenance de la Crimée à la Russie. Pourtant, la Crimée, comme Donetsk et Lougansk, font partie de l’Ukraine et ne sont que les outils utilisés par la Russie pour contrer ce qu’elle considère être des avancées américaines dans la région.

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En contrepartie de garanties sur le maintien de la langue russe dans les zones russophones, la Russie devrait se retirer de ces trois régions ukrainiennes afin de trouver la paix avec son voisin, qui n’acceptera jamais ce vol de territoires. En maintenant ses visées expansionnistes, elle légitimera davantage encore l’équipement en armes américaines de ses voisins et leur volonté de rejoindre l’OTAN. Surtout, elle laisse la porte ouverte aux volontés belligènes  s’exprimant à sa propre frontière.

La Russie doit consentir à ce qu’elle considère comme des sacrifices : renoncer à Kaliningrad, à la Crimée, à Donestk et Lougansk ; retirer ses troupes de Transnistrie ; laisser l’Ukraine et la Biélorussie décider de leurs destins et rejoindre l’Union Européenne si elles le souhaitent.

En échange de ces importantes concessions territoriales et politiques, il est évidemment nécessaire de proposer une contrepartie significative. Il faudra d’abord reconnaître que les États-Unis n’ont eu de cesse de chercher à diminuer l’influence de la Russie depuis 1991 dans sa zone d’influence en poussant les feux de l’Otan le plus près possible de la frontière russe. Ainsi sera demandée la sortie de l’OTAN des pays membres de l’Union européenne, le départ des bases et armes nucléaires américaines présentes sur le sol européen et la signature d’accords économiques stipulant que les ressources achetées par les États européens en dehors du continent, et qui peuvent l’être en Russie, seront désormais exclusivement achetées à celle-ci : gaz, pétrole, terres rares.

Ce n’est qu’en recherchant la résolution pacifique et pérenne de toutes les situations conflictuelles existant à la frontière russe que la Russie pourra convaincre le reste du continent qu’elle se considère comme membre de la famille européenne. Lorsque l’armée américaine aura quitté le Vieux continent, il n’existera fondamentalement plus de causes à l’hostilité entre la Russie et ses voisins européens. Alors pourra être considéré l’aboutissement d’une construction civilisationnelle, menant à la création d’une Europe Boréale, de Brest à Vladivostok.

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