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La clef Deschamps

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Publié le

16 juillet 2018

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À une époque pas si lointaine que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître, le football n’était pas glamour. Il s’agissait d’une activité plutôt appréciée des masses laborieuses, pratiquée dans les campagnes et les cités ouvrières, assimilée au « peuple ». Les intellectuels de gauche comme de droite ne se cachaient pas de détester le football, à quelques rares exceptions près. Aujourd’hui, ce serait précisément l’inverse ; il semble presque obligatoire de vibrer et de se montrer passionné pour le ballon rond.

 

Entamé dans les années 80, période où le jeune Didier Deschamps affutait ses qualités de meneur au FC Nantes, la révolution du football français a achevé de changer l’idée que les Français se faisaient de ce jeu et de ce sport. Il y eut bien les Verts et leurs poteaux carrés, Séville et la défaite cruelle contre l’Allemagne en demi-finale de la Coupe du Monde 1982, et quantité d’autres matchs dramatiques, où la France endossait le rôle du perdant magnifique, proposant le plus beau jeu sans jamais parvenir à remporter un titre. Pour que le déclic se fasse, il a fallu attendre 1984, année de la consécration continentale lors de l’Euro à la maison et d’une victoire inattendue aux Jeux Olympiques de Los Angeles. Puis, les années 90 achevèrent de couronner le football français. Derrière les succès en clubs, avec la première Ligue des champions française de l’Olympique de Marseille en 1993, puis le phénomène de société 1998, un même homme, un gagnant qui abhorrait la défaite : Didier Deschamps. Peu étonnant, donc, qu’on le retrouve encore en 2018, devenant le troisième homme, après Mario Zagallo et Franz Beckenbauer, à gagner la Coupe du Monde en tant que joueur puis en tant qu’entraineur.

Intelligent, pragmatique et bosseur sont trois mots qui pourraient résumer Didier Deschamps. L’intelligence de Didier Deschamps a été perceptible dès la phase des poules, et plus encore dans les matchs à élimination directe. Le Bayonnais a maximisé le potentiel de ses joueurs en bâtissant un système de jeu ultra-performant, pensé pour un tournoi de sept matchs, faisant fi des critiques qui s’abattaient sur lui et le caractère peut être peu flamboyant, voire mécanique, du style proposé par l’Equipe de France. Oui, Didier Deschamps n’a pas été façonné au Milan d’Arrigo Sacchi, virevoltant et implacable, contrairement à d’autres joueurs de sa génération, mais par la culture de la victoire de l’Olympique de Marseille puis de la Juventus de Turin de Marcello Lippi. Son inconscient footballistique est donc italien, valorisant l’organisation tactique, la discipline, la rigueur dans le placement et l’efficacité devant le but. En 2018, il a tout simplement reproduit ce qu’il connaissait et ce qui l’avait porté sur le toit du monde, empruntant tant au susnommé Lippi qu’à son prédécesseur à la tête des Bleus, Aimé Jacquet

 

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Didier Deschamps est intelligent parce qu’il est d’abord un pragmatique. Le jeu de possession à l’espagnole et à l’allemande des dernières années ? Les joueurs français ne pouvaient pas gagner ainsi. L’entraineur l’a d’ailleurs expliqué hier soir, en conférence de presse d’après victoire, répondant à une question sur l’héritage que lèguerait son équipe dans le football : « C’est une question difficile que l’héritage que laissera cette équipe. Quoi retenir ? Si on est champions du monde, c’est qu’on a fait les choses bien, ou qu’on les a faites mieux que les autres. J’avais un groupe jeune (Ndlr : le deuxième effectif le plus jeune de la compétition et le plus jeune à gagner un mondial) mais de qualité : l’état d’esprit des joueurs restera ma plus grande fierté. Je leur ai dit de ne rien lâcher, puis je leur ai redit, puis redit, puis… Je n’ai pas arrêté. Et ils n’ont rien lâché. Jamais. Durant cette Coupe du monde, on a compris que la maîtrise du jeu [une allusion aux sélections espagnole ou allemande, qui ont eu le ballon sans arrêt mais qui ont disparu prématurément, ndlr] ne suffisait pas. Après, est-ce qu’on est un beau champion ? On est champion ».

Seule la victoire est belle, Deschamps l’a bien compris. Gagner, gagner, encore et toujours gagner. En sport comme en politique, il faut avoir la défaite en horreur. Si nous devons  retenir une leçon de Didier Deschamps, grand tacticien et grand meneur d’hommes, c’est bien cela. Cette année, dominer n’était pas gagner. Le Liverpool de Klopp avait démontré, quelques semaines auparavant, l’importance des phases de transition et de pressing. L’Espagne avait construit ses succès en confisquant la balle des équipes adverses, pour éviter de subir des contres et repousser au maximum les phases défensives qui lui faisaient tant de mal, comme le huitième contre l’équipe de France en 2006 l’avait prouvé. La France, ne pouvant pas jouer ce jeu là, a décidé d’utiliser sa force physique pour récupérer rapidement le ballon et utiliser la profondeur en lançant ses flèches, des joueurs extrêmement rapides tels que M’Bappé, capable de profiter des espaces pour aller très vite vers la cage. Ce n’est pas somptueux – disons que cela dépend des goûts -, mais ce fut diablement efficace dans cette compétition courte, où les adversaires n’ont pas le temps de correctement décrypter un système solide.

La machine Deschamps est pourtant et paradoxalement, philosophiquement très française, dévoilant l’habitus national le plus ancien

Du reste, Didier Deschamps a rapidement mis en place une équipe de titulaires inamovibles, s’appuyant notamment sur Griezmann, particulièrement intelligent lors de la finale contre la Croatie. Durant cet ultime match, la France a encore été dominée sur le plan technique, sans jamais s’affoler et en s’appuyant sur deux points forts qui étaient autrefois ses principales failles. Que Deschamps et son staff soient d’énormes bosseurs a sauté aux yeux. L’équipe de France n’a pas été chanceuse : elle a forcé la chance. L’approche de Didier Deschamps tient du fonctionnalisme appliqué au domaine du sport. Il n’a jamais eu de schéma de jeu préconçu, il s’est adapté à la culture de ses joueurs en modifiant par petites touches quelques aspects. Ainsi, il a insisté pour que l’équipe cadre dès qu’elle était en situation de tirer. En cadrant, un joueur ne marquera pas toujours, mais il a une bonne chance d’obtenir un corner ou que le ballon soit dévié vers le but ; ainsi du tir de Griezmann contre l’Uruguay ou du coup franc du même joueur contre la Croatie. Sur coups de pieds arrêtés, défaut majeur des « bleus » depuis dix ans, la progression a été très franche, tant en phase offensive qu’en phase défensive. Les situations arrêtées sont le fruit de la discipline, d’une hygiène de travail.

Dernier point, Didier Deschamps a aussi été brillant tactiquement, notamment en finale, où la sortie d’un Kanté diminué et étouffé par les Croates, remplacé par N’Zonzi, a amené les deux derniers buts. Equipe ressemblant furieusement à la France des années 80, avec Modric dans le rôle du chef d’orchestre à la Platini, la Croatie a fini par céder face à l’insolente réussite de l’équipe de France, qui a marqué sur toutes ses occasions. La machine Deschamps est pourtant, et paradoxalement, philosophiquement très française, dévoilant l’habitus national le plus ancien, celui que décrivait déjà Fernand Braudel dans L’identité de la France ; une terre de cultivateurs et d’éleveurs. Didier Deschamps a semé et récolté en bon Français, sans préjuger des qualités de sa terre, exploitant son lopin au maximum. Toutes les victoires du football français des vingt-cinq dernières années portent d’ailleurs sa marque. Pas évident, toutefois, que cette équipe soit aussi durable que la France de 98, plus structurée, ou que l’Espagne de la période 2008-2012, sa domination étant par trop conjoncturelle.

 

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Nous pourrions nous arrêter là et nous en tenir à cette analyse strictement sportive, considérant le football pour ce qu’il est : un merveilleux sport, simulacre pacifique de guerre. Mais nous vivons dans la France de 2018, dans l’Occident de 2018 aussi. Chaque équipe sportive, et surtout en football, est donc, malgré elle, une manifestation politique révélatrice des tensions de notre pays, gagnante ou perdante. Cette-fois ci, l’équipe de France a gagné, et d’une manière assez nette. Evidemment, nombreux sont ceux qui ont voulu « récupérer », fonction de leurs obsessions, ce qui n’était qu’un simple tournoi de football. Chaque événement doit donc être « édifiant », au sens que les religieux donnaient à ce mot au dix-huitième siècle. Frappante aussi est l’hypocrisie d’une France où jamais le fait ethnique n’a autant compté, tout en étant occulté ou magnifié.

D’un côté, des tenants d’une République strictement contractuelle, niant jusqu’à ce qui se voit comme le nez au milieu de la figure, soit que de nombreux joueurs de l’équipe championne du monde sont originaires du continent africain, ce dont les médias africains se flattent et ce que les joueurs revendiquent. De l’autre, des Français qui survalorisent ces origines extra-européennes, souhaitant semble-t-il faire émerger un homme nouveau, attaquant parfois l’équipe croate pour son caractère « monochrome », tout en reprochant leur « racisme » aux quelques Français qui leur font remarquer les contradictions de leur discours. De tous les côtés, cette même injonction à un patriotisme réduit au football, seul phénomène social suffisamment rassembleur pour unir un pays divisé, hors les périodes post-attentats – et encore, serait-on tentés d’écrire -. Se dessine en creux une France névrosée aux tentations totalitaires, toujours obsédée par son unité, craignant l’implosion.

 

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Il faut bien admettre que les images des manifestations d’après-match témoignent de ces tensions, entre émeutes et culture de la casse. Si France 98 était une victoire de la France, celle qui avait souffert en 1982, France 2018 a des airs de victoire de la francophonie ; cette mondialisation d’ici et d’ailleurs dans la mondialisation globale. Loin de montrer un pays en gestation, ces mouvements de l’inconscient national, s’ils s’appuient bien sur une idée et un projet très français qu’incarnent Didier Deschamps, en montrent un sur le point de s’effacer. Sans surestimer le football, il faut en comprendre l’importance symbolique et en mesurer correctement la portée politique. Où irons-nous ? La question est, de nouveau, posée. Reste la poésie d’un ballon volant vers la lucarne, cette même sensation de plénitude ressentie sur un parking de supermarché et dans le stade Loujniki.

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