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L’Alliance des États du Sahel est-elle viable ?

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Publié le

8 avril 2024

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Fraîchement créée par le Mali, le Burkina Faso et le Niger en réaction à la présence française, l’Alliance des États du Sahel peut-elle survivre dans une région en déliquescence où l’État islamique continue de gagner des positions ?
© Armée de Terre

Les trois dernières années auront vu des bouleversements dans la géopolitique sahélienne. D’abord, avec trois coups d’État au Mali, Burkina Faso et Niger, en lien avec un rejet de la présence française et encouragés par une subversion russe que notre pays n’a pas su anticiper. S’en est suivi l’annonce, le 28 janvier 2024, d’une sortie de ces trois pays de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), qui avait condamné les trois putschs et pris des sanctions en réaction. En substitution, ces trois pays ont créé l’Alliance des États du Sahel (AES), nouvelle organisation sous-régionale. Ils ont également décidé de quitter le G5 Sahel, destiné à lutter contre le djihadisme et tenu à bout de bras par la France, ce qui a fait éclater cette organisation.

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Alors que le Sénégal voisin, que l’on croyait stable, est aussi en crise institutionnelle violente, que les rebellions touareg refont surface au Mali, que l’État islamique continue à gagner du terrain, que la solidarité régionale est en déliquescence, on peut se poser la question de la durabilité de cette nouvelle alliance, issue d’une solidarité révolutionnaire de circonstance.

Les origines de cette crise révolutionnaire : la France en cause

Il est possible de faire remonter cette crise dès la sortie de la Seconde Guerre mondiale. La guerre avait précipité l’émancipation des colonies et suscité une espérance avec la création de l’« Union française » en 1946 à laquelle appartenaient les colonies d’Afrique noire. A partir de 1956, la loi-cadre de Gaston Deferre, ministre de la France d’Outre-mer, a amorcé l’africanisation des cadres politiques africains, sans doute trop tardivement. La constitution du 4 octobre 1958 a institué la « communauté française » destinée à remplacer l’Union française.

Il est possible de faire remonter cette crise dès la sortie de la Seconde Guerre mondiale. La guerre avait précipité l’émancipation des colonies et suscité une espérance avec la création de l’« Union française » en 1946 à laquelle appartenaient les colonies d’Afrique noire.

Ces institutions furent des lieux d’apprentissage pour la, classe politique en formation et les relations nouées ne furent pas à l’abri des conséquences de la guerre froide, comme en témoigne la création du Rassemblement démocratique africain (RDA), le plus grand parti fédéral de l’Afrique noire française, qui afficha son alliance avec le parti communiste et une sympathie ouverte pour l’Union soviétique.

Mais le processus n’avait pas eu le temps d’aboutir au moment des indépendances lorsque les premiers partis politiques d’Afrique française ont été inspirés par le parti communiste et la mouvance socialiste française. Par la suite, de nombreuses élites africaines ont été formées en URSS ou en Chine, très loin de l’humanisme à la française, et certains pays comme le Congo Brazzaville ou le Bénin ont même rejoint le camp de l’est, avant de revenir dans le pré carré. Un chemin que sont en train de prendre aujourd’hui le Mali, le Burkina Faso et le Niger, par une espèce de résurgence d’un panafricanisme révolutionnaire à la Sankara, sans toutefois que les populations en aient vraiment été à l’origine. Cet emballement se traduit parfois par des excès irrationnels, comme celui consistant à accuser la France de collusion avec les groupes armés terroristes (GAT), pour expliquer la défaillance militaire et sécuritaire africaine. Cette accusation constitue une insulte aux efforts et sacrifices des soldats français dans les opérations Serval puis Barkhane.

Mais choisir l’occident et singulièrement la France comme bouc émissaire des propres tromperies, inerties et corruption et mauvaise gouvernance des dirigeants africains depuis les années 60 est un peu facile. S’il y a eu des corrupteurs, il y a eu de corrompus. Pour avancer, la colonisation doit être, sans doute, assumée par tous comme une partie intégrante du passé. Toute révolution a besoin de bouc émissaires et nous en faisons les frais pour le moment. Le temps fera sans doute reprendre aux choses leur place réelle.

Cet emballement se traduit parfois par des excès irrationnels, comme celui consistant à accuser la France de collusion avec les groupes armés terroristes (GAT), pour expliquer la défaillance militaire et sécuritaire africaine.

La France, toujours à part en Occident, toujours tournée vers le reste du monde et singulièrement l’Afrique n’a pas dit son dernier mot. Souvenons-nous aussi que le nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD), lancé en 2001 sous la tutelle de l’Union africaine (UA), afin de procéder aux grands travaux d’infrastructure nécessaires au continent, est restée une coquille vide, sujette à controverses. L’organisme a donc changé de nom en 2018 pour devenir l’Agence de développement de l’UA, sans plus de résultats tangibles depuis.

Les autres acteurs contestés

A ce qui précède est venu s’ajouter le poids des accords commerciaux inégaux et déséquilibrés de l’Union européenne avec les pays d’Afrique, Caraïbe et Pacifique (ACP). D’abord ceux de Lomé de 1975 à 2000, puis de Cotonou en 2000, et enfin l’accord de Samoa, incluant les Maldives, signé en novembre 2023 et qui constitue la nouvelle stratégie à venir de l’UE. L’ère de ces traités inégaux entre l’Europe et l’Afrique doit disparaître.

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La Banque Mondiale et du FMI sont mis en cause dans leur fonctionnement profitant davantage aux occidentaux. Les Programmes d’Ajustement Structurel introduits en Afrique au début des années 1980, à cause d’un certain nombre de déséquilibres macro-économiques (finances publiques et balance des paiements), a entraîné l’appauvrissement et l’incapacité de
nombreux pays africains à pouvoir faire face financièrement aux besoins de développement de leurs économies, aggravant ainsi la faible propension des États a générer des rentrées fiscales, l’économie informelle en Afrique étant encore souvent la règle.

La CEDEAO, créé en 1975 dans le but de promouvoir la coopération et l’intégration économique des 15 pays membres, ainsi que de participer au maintien de la paix sur le territoire de la communauté, n’a pas tenu ses promesses. C’est à cause du manque d’aide de l’organisation face au terrorisme, son incapacité à mettre en œuvre une Force africaine en attente (FAA) en gestation depuis 1990, que le Mali, le Burkina Faso et le Niger ont décidé de quitter cette communauté, l’accusant d’être sous l’influence de puissances étrangères. La décision de sanctions économiques après les trois coups d’État, la menace d’intervention militaire au Niger en août 2023, qui a fait pschitt, ont précipité le divorce et la création de l’AES.

Sud global contre Occident collectif ?

Les termes de Sud global et occident collectif, à la mode, sont impropres car il n’y a pas un Occident et un Sud global mais des pays qui défendent leur souveraineté, leurs propres intérêts, parfois divergents, mais qui coopèrent sur des thématiques communes.

La CEDEAO, créé en 1975 dans le but de promouvoir la coopération et l’intégration économique des 15 pays membres, ainsi que de participer au maintien de la paix sur le territoire de la communauté, n’a pas tenu ses promesses.

Sur le théâtre sahélien, les Russes se retrouvent en concurrence avec la Chine, la Turquie, l’Inde, l’Arabie saoudite et l’Afrique du Sud. Le rejet de l’occident colonisateur, encouragé par la Russie, a permis à ce pays de s’installer militairement, d’abord avec la milice Wagner en République centrafricaine depuis 2018, puis en investissant ensuite tous les secteurs de la société centrafricaine, des médias à la politique en passant évidemment par l’économie, grâce notamment à l’exploitation des mines. Le même processus est en route dans l’AES, aussi bien avec Wagner qu’avec la coopération militaire russe qui a pris notre place. Pas sûr que les populations africaines subissant les exactions commises par la milice Wagner soient d’accord avec cette évolution.

Le Forum des partisans de la lutte contre les pratiques néocoloniales, intitulé « pour la liberté des nations » s’est ouvert le 15 février 2024 à Moscou. Le président centrafricain, Faustin-Archange Touadéra, est spécialement venu pour y prendre part et prononcer un discours. « Il est temps de briser les chaînes du néocolonialisme occidental pour tous les peuples, partout à travers le monde. » a-t-il déclaré, « C’est pourquoi mon pays a adhéré au partenariat pour une croissance mutuellement accélérée, un développement durable et un multilatéralisme inclusif, développée par les BRICS. ».

Le rejet de l’occident colonisateur, encouragé par la Russie, a permis à ce pays de s’installer militairement, d’abord avec la milice Wagner en République centrafricaine depuis 2018, puis en investissant ensuite tous les secteurs de la société centrafricaine, des médias à la politique en passant évidemment par l’économie, grâce notamment à l’exploitation des mines.

On ne peut être plus clair. L’AES rentrera-t-elle dans les BRICS+ ? Une délégation des BRICS a été reçue au Niger le 29 janvier 2024, afin d’y développer les infrastructures de transport, problématique commune pour toute l’AES. Bien d’autres domaines pourraient être concernés (défense, énergie, industrie, santé, éducation et formation). Nul doute que les BRICS ont envie et intérêt à accroître leur influence en Afrique, continent d’avenir riche en matières premières, afin d’y contrebalancer la présence occidentale. Mais attention aux mirages et au miroir des alouettes car ce ne sera pas sans contreparties. Et l’expérience de l’implantation de la Chine en Afrique, plus ancienne, cherchant à s’accaparer les terres rares, en a échaudé plus d’un, la tendance étant plutôt à des comportements néocoloniaux.

Réussir le développement économique

Le monde change et se tourne vers l’Est, l’Afrique également. L’AES aura-t-elle sa place dans ce pivot en tant qu’organisation sous-régionale ? Ce n’est pas sûr sans reconnaissance continentale et internationale. Une tendance à l’autarcie et une opposition frontale avec la CEDEAO et l’Occident risquent de l’isoler.

L’AES a été initialement créée pour aider à contrer d’éventuelles menaces de rébellion armée ou d’agression extérieure, d’où un accord de soutien collectif entre les trois armées. Dans l’immédiat, la lutte contreal-Qaida et l’État islamique au Sahel est très loin d’être gagnée et de la sécurité des populations dépendra l’essor économique.

Le monde change et se tourne vers l’Est, l’Afrique également. L’AES aura-t-elle sa place dans ce pivot en tant qu’organisation sous-régionale ? Ce n’est pas sûr sans reconnaissance continentale et internationale. Une tendance à l’autarcie et une opposition frontale avec la CEDEAO et l’Occident risquent de l’isoler.

Le prolongement de la charte concerne le processus d’intégration économique et financière au sein de l’Alliance, ainsi que des mesures politiques et de coordination diplomatique. Compte tenu de l’importance du potentiel en ressources minières, énergétiques, hydrauliques, agropastorales et piscicoles dont regorge la région, il avait été recommandé, dès 1970, aux trois pays de se regrouper dans un organisme permanent pour l’exploitation en commun de ces immenses ressources. C’est ainsi qu’avait été créée l’Autorité de développement Intégré de la Région du Liptako-Gourma (ALG). Cet organisme pourrait être réactivé aujourd’hui afin de montrer une volonté de développer une stratégie de croissance économique endogène, en s’appuyant sur ses ressources naturelles et humaines et de nouvelles opportunités avec l’aide des BRICS (énergie, transport, développement rural, technologies de l’information et de la communication, finance).

Compte tenu de l’importance du potentiel en ressources minières, énergétiques, hydrauliques, agropastorales et piscicoles dont regorge la région, il avait été recommandé, dès 1970, aux trois pays de se regrouper dans un organisme permanent pour l’exploitation en commun de ces immenses ressources.

L’annonce de la création d’une monnaie propre à l’AES, signe de souveraineté et d’intégration économique, peut paraître surprenante alors que l’Afrique de l’Ouest est dans une phase d’abandon du Franc CFA au profit d’une nouvelle monnaie, l’ECU, manœuvre compliquée et périlleuse. La taille critique ne semble pas atteinte pour faire cavalier seul et cela compliquerait considérablement les échanges de marchandises avec la CEDEAO comme à l’international, ainsi que la libre circulation des personnes dans la sous-région. Cela voudrait certainement dire un retrait de l’Union économique et monétaire ouest africaine (UEMOA).

D’autre défis et pas des moindres attendent les dirigeants de l’AES comme la bonne gouvernance et la lutte contre une corruption endémique, la capacité à élargir l’assiette des rentrées fiscales, la démographie galopante et l’autosuffisance alimentaire, la santé, l’éducation, l’émigration due à l’insécurité, le climat…

Des raisons d’espérer ?

L’AES a des atouts dans sa manche, saura-t-elle les valoriser ? Il y a d’abord les matières premières du sous-sol évoquées plus haut, qui doivent davantage être la source de transformation et de développement économique. Le Niger fournit 44% de l’uranium africain et possède une réserve de gaz naturel et de pétrole ainsi qu’une raffinerie à Zinder construite par la Chine. Ce pays est aussi riche en calcaire, en argent, en étain et en gypse. Le Burkina Faso possède d’importantes mines d’or (que convoite l’EI), des réserves de manganèse, de nickel, de phosphate, de fer, de graphite, de plomb, de pyrite et d’antimoine. Le Mali possède pour sa part du diamant, du manganèse, du fer, et aussi du pétrole, autant de matières premières qui nécessitent de réhabiliter le chemin de fer Abidjan-Niamey, donc un maintien des relations économiques harmonieuses avec la CEDEAO.

L’AES a des atouts dans sa manche, saura-t-elle les valoriser ? Il y a d’abord les matières premières du sous-sol évoquées plus haut, qui doivent davantage être la source de transformation et de développement économique.

Il y a un risque pour l’AES de tomber dans le complotisme et l’autarcie et de considérer la CEDEAO comme une ancienne puissance africaine coloniale. Il faudra pourtant bien vivre avec car des pays comme la Côte d’Ivoire, le Ghana, le Bénin, le Togo et le Nigeria sont les poumons économiques du Burkina-Faso. Le Niger a aussi impérativement besoin du couloir passant par le Bénin pour ses importations. La CEDEAO a fait un premier pas en levant les sanctions contre le Niger le 24 février 2024. Cela peut être interprété comme une reconnaissance de la nécessité d’une coopération entre la CEDEAO et l’AES.

Au sujet de la fourniture de gasoil, essentielle, le Niger a lancé une expérience encore en cours avec le Burkina Faso, le Mali, le Tchad et le Togo afin de fournir ces pays et d’accroître le volume de ces échanges et d’en assurer la pérennité. En contrepartie, le Togo propose sa propre initiative de désenclavement des pays du Sahel à l’AES alors que le Maroc s’est aussi porté candidat. Il est possible que cette initiative soit poussée par une puissance étrangère et elle devra faire l’objet d’un choix stratégique commun. Le Togo doit pour cela lancer la création d’infrastructures industrielles, ferroviaires et routières. Un investissement énorme qu’il ne peut se permettre seul. Ce n’est donc pas gagné…

Il y a un risque pour l’AES de tomber dans le complotisme et l’autarcie et de considérer la CEDEAO comme une ancienne puissance africaine coloniale. Il faudra pourtant bien vivre avec car des pays comme la Côte d’Ivoire, le Ghana, le Bénin, le Togo et le Nigeria sont les poumons économiques du Burkina-Faso.

Concernant la question énergétique, le programme « Desert to Power » de la Banque Africaine de Développement (BAD) a pour ambition de faire du Sahel la plus grande zone de production solaire au monde avec 10 000 MW de capacité en énergie, par la construction de centrales et de mini-réseaux solaires dans de nombreux villages et villes de plusieurs pays du Sahel et bien au-delà. L’extension et le renforcement du réseau de transport d’électricité entre les pays du Sahel est un indispensable chantier pour le développement économique et le bien-être des populations. Par ailleurs, le Burkina Faso a signé en octobre 2023 un accord avec Moscou pour construire une centrale nucléaire. Ce contrat, dont il est légitime de mettre en doute la faisabilité, illustre aussi la montée en puissance de la Russie dans la région.

Être attentif au risque de violences ethniques

Le conflit actuel avec la CEDEAO risque de laisser des traces. Le passé nous le rappelle. Les indépendances ont ranimé des conflits ethniques millénaires que la colonisation avait mis sous cloche. On peut relever à cet égard le cas de la Côte-d’Ivoire ou Dahoméens et Togolais furent pourchassés dans les faubourgs d’Abidjan durant les mois d’octobre et novembre 1958, hostilité étendue peu à peu à tous les étrangers non européens. On retrouve là une très forte méfiance interethnique. Le 14 février 2024, une centaine de citoyens originaires du Burkina Faso, du Mali et du Niger semble avoir été expulsée manu militari de la Côte d’Ivoire à Bouaké vers le Burkina Faso, sans aucune explication ni motif officiel.

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Par ailleurs, une tentative de coup d’État a été semble-t-il déjouée au Burkina Faso en 2023. Plusieurs officiers ont été arrêtés et emprisonnés. Depuis, une vingtaine de personnalités critiques envers la junte ont été arrêtées, portées disparues ou enrôlées de force dans les volontaires pour la défense de la patrie (VDP), selon le journal Le Monde. Le Burkina Faso aurait-il renoué avec ses anciens démons ? Les périodes révolutionnaires comme celle-ci sont propices à d’autres coup d’Etat dans l’avenir en cas d’échec ou excès. L’Afrique est malheureusement coutumière du fait. Les acteurs d’aujourd’hui feraient bien de s’inspirer de la pensée de Felix Houphouët Boigny : « Les guerres prenant naissance dans l’esprit des hommes, c’est dans l’esprit des hommes que doivent être élevées les défenses de la paix ».

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