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Nicolas Bay : « Nous sommes conservateurs et l’assumons »

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Publié le

13 mars 2024

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Ce jeudi 14 mars, dans le sillon de la constitutionnalisation de l’IVG, le Parlement européen va débattre de l’inscription de l’avortement dans la Charte des droits fondamentaux de l’UE. Nicolas Bay (R!) y est opposé. Entretien avec un conservateur qui s’assume.
© Équipe de Nicolas Bay

Êtes-vous favorable à l’inscription du droit à l’avortement dans la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ?

J’y suis opposé, comme nous étions résolument opposés, avec Éric Zemmour et Marion Maréchal, à l’inscription du droit à l’avortement dans la Constitution française. En effet, la loi Veil posait un principe, une règle générale, le droit à la vie. Et elle ouvrait la voie à une exception, avec le recours possible à l’IVG dans un certain nombre de cas précis (en 1975, les conditions étaient assez restrictives même si elles laissaient déjà une large place à l’interprétation).

Ensuite, par des offensives successives de la gauche, l’IVG a été sanctuarisée comme un droit, puis remboursée, puis les délais ont été étendus, etc. En l’inscrivant dans la Constitution comme un grand principe intouchable, on fait de l’avortement quelque chose de positif, d’encouragé et de valorisé. C’est donc un changement total de philosophie par rapport au texte et même à l’esprit de la loi Veil. Et tout cela est un mensonge, qu’il soit autorisé ou non, remboursé ou non, l’avortement est toujours une tragédie, toujours un drame. C’est d’ailleurs le grand échec aussi de cette législation : le nombre annuel d’IVG (plus de 200 000) n’a pas diminué en 50 ans malgré les campagnes de prévention et un accès aisé et diversifié aux moyens contraceptifs.

Lire aussi : L’IVG dans la Constitution contre la liberté de pensée

Depuis le traité de Lisbonne de 2007, la Charte des droits fondamentaux a valeur de traité et elle est juridiquement contraignante pour les États membres. Nous pourrions comparer cela au « bloc de constitutionnalité » qui a donné valeur constitutionnelle aux préambules des constitutions de 46 et de 58 ainsi qu’à la déclaration des droits de l’homme et du citoyen : elle contient des formules, des notions, des valeurs qui peuvent être interprétées et fondent des arrêts chargés d’idéologie. Souvenez-vous de l’interprétation du principe de « fraternité » pour relaxer le passeur de migrants Cédric Herrou. En intégrant l’avortement dans la Charte des droits fondamentaux, d’une part on imposerait au niveau européen l’avortement aux pays qui n’en veulent pas ou voudraient revenir dessus un jour – c’est donc une atteinte considérable à leur souveraineté, d’autant plus que les politiques de santé ne relèvent absolument pas des compétences de l’UE –, d’autre part l’avortement deviendrait un élément de la diplomatie européenne puisque celle-ci demande régulièrement aux pays tiers de respecter les « valeurs de l’UE ».

Sachant que le droit à l’avortement n’est, pour l’heure, pas menacé en Europe, trouvez-vous opportun d’ouvrir ce débat ?

En effet, on assiste là à l’importation artificielle en France d’un débat qui a lieu aux États-Unis. La remise en cause récente de l’arrêt Roe vs Wade de 1973 par la Cour suprême cesse de faire de l’IVG un « droit » au niveau fédéral. La gauche a profité de ce débat — légitime au demeurant — qui existe aux États-Unis actuellement pour revendiquer l’inscription de l’avortement dans la Constitution française. Et cette même gauche a d’ailleurs manifesté bruyamment que le vote du Congrès était pour elle une grande victoire politique et idéologique, ce qui est parfaitement exact ! Que Macron ait été le vecteur de cette initiative politique n’est bien sûr pas étonnant.

Ce qui est en revanche désolant, c’est le comportement de l’immense majorité des députés et sénateurs LR et RN qui ont soutenu activement en votant pour ou passivement en s’abstenant ce qui est un basculement grave. Ceux qui sont censés être de droite, même si beaucoup d’entre eux ne l’assument même pas, sont tellement soumis intellectuellement, culturellement et même psychologiquement à la gauche qu’ils sont incapables de s’en différencier.

Ce qui est en revanche désolant, c’est le comportement de l’immense majorité des députés et sénateurs LR et RN qui ont soutenu activement en votant pour ou passivement en s’abstenant ce qui est un basculement grave.

Nicolas Bay

Il y a là des causes multiples : l’effondrement du niveau de la classe politique y compris parlementaire, un conformisme confondant, l’angoisse de la joute idéologique et de son traitement médiatique, la peur panique de la « diabolisation » et peut être aussi un « droit à la paresse » que certains pratiquent finalement avec plus d’assiduité que Sandrine Rousseau ! Quand on voit que François Bayrou exprime ses réticences sur le fond et même son opposition à ce projet, car il a la finesse et sans doute aussi la conviction qu’il s’agirait d’un changement anthropologique, en plus de considérer qu’il ne faut pas jouer avec la Constitution, et que, dans le même temps, 75 députés RN sur 88 ne sont pas capables de s’y opposer, on se demande qui est dans la majorité et qui est dans l’opposition. Avec des ennemis comme ça, Macron n’a pas besoin d’amis ! Il peut aisément gouverner sans majorité absolue puisque les LR et RN jouent les forces d’appoint.

Pourquoi les débats sur l’avortement semblent toujours perdus d’avance ? Ne sont-ils pas devenus des débats d’arrière-gardes ?

D’une manière générale, les sujets dits « sociétaux », désignés ainsi pour en minimiser l’importance, sont souvent tabous dans notre pays. Parce qu’en amont des batailles politiques et électorales sur ces questions, le débat intellectuel est limité voire proscrit. La droite (mais aussi beaucoup d’acteurs associatifs, philosophiques, spirituels qui pourraient faire utilement entendre leur voix etc.) laisse la gauche et l’extrême gauche gagner du terrain, subvertir les consciences, dérouler leur propagande, sans mener le combat de manière assumée et pédagogique.

Il y a incontestablement une nécessité de se réapproprier tous les débats avec un exigence de vérité qui n’est pas incompatible avec la charité, au contraire, dans le respect des situations particulières et des choix de chacun.

Pour reprendre votre formulation, les combats perdus d’avance sont souvent ceux que l’on a d’emblée renoncé à mener. Et ce n’est pas sans lien avec l’effondrement de la qualité et de la densité des débats à l’Assemblée nationale. Au lendemain des législatives de 2022 et avec Emmanuel Macron qui ne disposait plus que d’une majorité relative, certains ont affirmé un peu rapidement que cela contribuerait à vivifier le débat parlementaire. C’est le contraire qui s’est produit : peu de députés portent une vraie vision de l’homme et de la société, la philosophie politique est évacuée au profit de débats techniques subalternes (dans lesquels des fonctionnaires seraient d’ailleurs bien plus précis et pertinents) et les votes de chacun sont guidés par la discipline de partis alignés sur le politiquement correct, le sondage d’hier ou l’humeur du jour. C’est la négation de la politique au sens noble.

Pour reprendre votre formulation, les combats perdus d’avance sont souvent ceux que l’on a d’emblée renoncé à mener. Et ce n’est pas sans lien avec l’effondrement de la qualité et de la densité des débats à l’Assemblée nationale.

Nicolas Bay

Et on le voit sur des questions comme le mariage homosexuel et la PMA sans père hier, l’IVG dans la constitution aujourd’hui, la GPA et l’euthanasie demain, les progressistes sont très organisés, présents dans tous les groupes parlementaires (et en force là où les naïfs les pensaient moins nombreux) avec parfois des élus se comportant davantage en lobbyistes LGBT qu’en député de la nation.

Selon les informations de L’Incorrect, les élus du Rassemblement national s’abstiendront lors du vote, comprenez-vous leur décision ?

Au Parlement européen lundi dernier, en ouverture de la session plénière, le groupe parlementaire macroniste a demandé l’inscription d’un débat sur l’inscription de l’IVG dans la Charte des droits fondamentaux. Dans la foulée, les Verts, avec le soutien de la gauche et des macronistes, a demandé un vote sur un texte demander cette inscription. Il s’agissait donc pour la gauche d’une demande de dernière minute, opportuniste, alors que l’ordre du jour de la séance plénière de lundi à jeudi était déjà figé et dense. Par 143 voix pour, 135 contre et 26 abstentions, le sujet a ainsi été ajouté à l’ordre du jour. Parmi les abstentions, les 12 députés RN présents dans l’hémicycle ont donc été décisifs et je le déplore. Cela n’a pas été suffisant cette fois-ci mais je me félicite du vote contre à la quasi-unanimité de mes collègues du groupe ECR dans lequel je siège.

Si, comme vous me l’indiquez, le RN s’abstenait sur l’inscription de l’avortement dans la charte des droits fondamentaux, ce serait une preuve supplémentaire de leur alignement sur la gauche progressiste, et aussi une démonstration supplémentaire de leur inutilité.

Finalement, Reconquête semble faire preuve d’ipséité sur les sujets sociétaux. Quels sont les autres sujets qui vous différencient des listes menées par Jordan Bardella et François-Xavier Bellamy ?

Je connais Jordan Bardella et François-Xavier Bellamy, je ne considère aucun d’eux comme des ennemis ou des adversaires. Ils sont des concurrents que je respecte mais nos différences sont cependant significatives. Il serait malhonnête intellectuellement de ne pas les assumer, ne serait-ce que par respect pour les électeurs qui doivent pouvoir exercer leur discernement en toute connaissance de cause.

S’agissant du RN, Reconquête s’en distingue sur plusieurs aspects. D’abord, nous menons le combat de l’identité civilisationnelle de la France et de l’Europe qui ne se résume pas uniquement au combat contre les conséquences sécuritaires, sociales ou économiques de l’immigration de masse. L’effet conjugué de l’invasion migratoire (près de 500 000 entrées légales par an sans parler des clandestins), de l’islamisation et de l’effondrement de la natalité aboutit au Grand Remplacement. Éric Zemmour a eu le courage de mener ce combat pendant la présidentielle.

Je connais Jordan Bardella et François-Xavier Bellamy, je ne considère aucun d’eux comme des ennemis ou des adversaires. Ils sont des concurrents que je respecte mais nos différences sont cependant significatives.

Nicolas Bay

Marine Le Pen affirme que « l’islam est parfaitement compatible avec la République ». Nous disons le contraire : l’islam n’est pas qu’une spiritualité, c’est une organisation politique et sociale, la charia fait partie du Coran et elle est fondamentalement et évidemment incompatible avec la République et surtout avec la France.  Sur l’économie aussi, nous ne partageons pas la même vision. À Reconquête, nous sommes de droite et considérons que les droits ne sont pas dissociables de devoirs, nous défendons les libertés économiques contre l’excès de normes et la fiscalité confiscatoire, la valeur travail contre l’assistanat et la déresponsabilisation. Le RN, je le dis sans polémique inutile ni animosité, est plus étatiste. Enfin, comme évoqué précédemment, ils ont renoncé à mener le combat que les questions de société. Ce n’est pas notre cas, nous sommes conservateurs et l’assumons. Le progrès n’est pas du côté des progressistes ; notre civilisation européenne et chrétienne a fait l’admiration du monde parce qu’elle était ancrée et fière de ses valeurs.

Lire aussi : “L’IVG est devenu à la fois un totem et un tabou.”

Concernant LR, on voit que ce parti est aujourd’hui scindé entre ceux qui devraient naturellement nous rejoindre (et beaucoup de leurs électeurs l’ont fait à la présidentielle) et ceux qui ont rallié ou veulent rallier Macron. Et je le vois chez mes collègues LR au Parlement européen. Sur certains dossiers, les 7 députés LR ont parfois jusqu’à 4 positions de votes différentes : pour, contre, abstention et la chaise vide !

Ils siègent au sein du PPE qui est l’allié des socialistes et des macronistes sur la quasi-totalité des votes au Parlement européen. Ils votent les mesures du pacte vert qui tue notre économie, la répartition des migrants obligatoire, les sanctions de Bruxelles contre les gouvernements conservateurs polonais et hongrois, les accords de libre-échange, les ressources propres de l’UE (c’est-à-dire la création d’une fiscalité européenne en plus des fiscalités nationales). Et ils soutiennent désormais Ursula von der Leyen pour 5 années de plus à la tête de la Commission. Très franchement, je ne comprends pas ce que François-Xavier Bellamy fait dans cette galère et je le lui ai dit.

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