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Physiologie de la barbe

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21 novembre 2017

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Barbe

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Il s’agit de bien autre chose que d’une simple mode. La mode, disait Cocteau, c’est ce qui se démode. Sans qu’on puisse la justifier par autre chose qu’elle-même : pourquoi, telle année, telle couleur, telle longueur de coupe, tel tissu sont-ils à la mode ? Eh bien, parce que c’est comme ça. Derrière la barbe, il y a bien autre chose.

 

Ayant à faire à l’autre bout de Paris, et ayant compté dix stations à parcourir, E. se carra confortablement dans le fauteuil du métro et repris là où il avait arrêté la lecture du Comte de Monte-Cristo. Échappé du château d’If, où pendant quinze ans il n’a pas vu un rasoir, Edmond Dantès, débarqué à Livourne, s’empresse de faire raser une barbe que Dumas décrit « épaisse et noire ». « Ce n’était pas encore la mode à cette époque-là que l’on portât la barbe et les cheveux si développés : aujourd’hui un barbier s’étonnerait seulement qu’un homme doué de si grands avantages physiques consentît à s’en priver. »

Caressant sa propre barbe, E. leva les yeux et fut frappé de voir que parmi les voyageurs, au moins deux tiers des hommes en portaient une également. « La mode », écrit Dumas  : en une quinzaine d’années, entre 1829, où il situe la scène, et 1845, date de la publication du roman, on est passé d’un monde d’imberbes à une France barbue. La mode d’aujourd’hui semble avoir été encore plus fulgurante, et se compter en mois.

 

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Pourtant, songea E., il s’agit de bien autre chose que d’une simple mode. La mode, disait Cocteau, c’est ce qui se démode. Sans qu’on puisse la justifier par autre chose qu’elle-même : pourquoi, telle année, telle couleur, telle longueur de coupe, tel tissu sont-ils à la mode ? Eh bien, parce que c’est comme ça. Derrière la barbe, il y a bien autre chose. Il y a un sens, et presque, une philosophie. Dans les temps anciens, la barbe semble liée à la virilité, à la force et à l’autorité, celle du pater familias ou du roi, qui est le père de la nation.

Comme l’écrit vers 1830 un barbu célèbre, Prosper Enfantin, le « Père » de l’école saint-simonienne, «  le Jupiter olympien en avait une belle. Le Moïse de Michel-Ange en avait une immense. La force antique n’est jamais représentée imberbe ». Après une longue désaffection, la barbe renaît donc au milieu du XIXe, et va s’imposer pendant un siècle : contrairement à la mode, qui ne touche qu’un segment particulier de la société, la barbe n’épargne alors personne. Elle n’est ni de droite ni de gauche, et on la porte, que l’on soit prétendant au trône, empereur, président de la République ou sous-chef de bureau à la préfecture de l’Indre-et-Loire, que l’on se nomme Victor Hugo, Charles Maurras ou Jean Jaurès. Mais un beau jour, on finit par s’en lasser : le mot argotique « barber », né à la fin du XIXe siècle, fleurit entre les deux guerres sous la plume d’écrivains rasés, comme Malraux ou Montherlant. Après 1945, ç’en est fini de la barbe – jusqu’à son grand retour, il y a deux ou trois ans.

 

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Sauf que le sens n’est plus le même. Adieu, majesté, ciao virilité triomphante. Regardant autour de lui, E. distingua, au milieu d’une foule de barbes maigrelettes, un homme vêtu avec une recherche un peu excessive, qui arborait une barbe magnifique et admirablement soignée. Habitué à réfléchir en juriste, il en déduisit qu’il existe aujourd’hui – outre les islamiques –, deux catégories de barbes  : d’une part, les plus belles, qui appartiennent aux « hypsters », dont elles constituent la marque de reconnaissance.

D’autre part, les plus communes, dites « barbes de trois jours » qui, au contraire, apparaissent plutôt comme un moyen de brouiller l’identité : on n’est plus ni barbu, ni imberbe, on est ce que l’on est aujourd’hui, en faisant savoir que cela pourra changer demain – à la manière d’Emmanuel Macron en janvier 2016, apparaissant en Conseil des ministres subitement affublé d’une telle barbe, avant de s’en débarrasser aussi vite. Cette barbe-là veut dire que l’on n’est plus figé dans une représentation : que l’on est cool, décontracté, et dans le cas d’Édouard Philippe, premier ministre barbu depuis quatre-vingts ans, que l’on n’est pas aussi technocrate que son CV pourrait le faire croire.

Arrivé à destination, E. ferma Le Comte de Monte-Cristo, et se demanda où il avait bien pu mettre son rasoir.

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