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Présidentielle 2022 : déjà un coup pour rien ?

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Publié le

29 mars 2022

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L’élection présidentielle 2022 est à nulle autre pareille. Si l’année 2017 fut déjà apocalyptique, révélant enfin que les deux grands partis de gouvernement de la Vème République avaient finalement été remplacés par des formations prenant acte de la mondialisation, soit pour la sublimer soit pour en proposer une alternative, l’année 2022 consacrera pleinement la reconfiguration politique française. L’apparition d’Eric Zemmour et la crise internationale seront toutefois venues perturber un scénario que d’aucuns pensaient joué d’avance.
Le pen_Zemmour

Les meetings sont-ils encore des moments majeurs d’une grande campagne politique ? C’est le pari pris par Eric Zemmour et Jean-Luc Mélenchon. Candidats mobilisant les imaginaires politiques les plus clivants, ils sont aussi ceux qui suscitent de véritables ferveurs militantes. L’un après l’autre, ils ont convoqué de grands raouts parisiens enflammant les principaux mythes de leurs camps respectifs : la droite au Trocadéro et la gauche place de la République. Bien que le candidat Eric Zemmour soit un produit neuf, il s’inscrit pleinement dans le clivage politique le plus traditionnel que la France connaît lors des siècles derniers, assumant sans ambages être « de droite » de la même manière que Jean-Luc Mélenchon se situe dans une filiation socialiste, voire marxiste. Ces legs politiques font d’eux des archétypes des camps qu’ils représentent.

A contrario, les deux candidats les mieux placés pour accéder au second tour, soit Emmanuel Macron et Marine Le Pen, refusent farouchement cette dialectique qu’ils jugent anachroniques, lui substituant des clivages plus contemporains. Marine Le Pen se veut patriote contre le « mondialiste » Emmanuel Macron. Le marcheur aimerait, lui, incarner le progrès face aux réactionnaires de tous bords, ou même, l’ordre contre le désordre représenté par ses adversaires du moment repeints en agitateurs et propagateurs de fausses nouvelles. Rien ne nous sera donc épargné, surtout pas les caricatures des uns comme des autres.  Le manichéisme l’emporte, s’abat façon tsunami nippon sur les côtes décharnées de l’intelligence nationale.

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Au fond, il est à se demander si le personnage principal de ce « moment démocratique » ne serait pas l’animateur Cyril Hanouna accompagné de ses touto(u)logues de plateaux. Omniprésent depuis le début de cette présidentielle, il est le maître de cérémonie de ce grand casting destiné à ce que la France se dote d’un incroyable talent susceptible de guider son voilier dans l’agitation du monde contemporain. Lors de son meeting du Trocadéro, dans le droit fil de ses malheureux prédécesseurs Nicolas Sarkozy et François Fillon, Eric Zemmour a d’ailleurs fourni de superbes images pour le « film de la campagne » rêvé par les documentaristes du service public ou de C8. Homme providentiel d’un peuple de droite radicalisé depuis La Manif Pour Tous, il a délivré exactement ce qu’attendaient ses fidèles.

Ils veulent être confortés dans leur vision du monde, à l’identique des supporters de Jean-Luc Mélenchon. C’est pour cela que les meetings de ces derniers ressemblent à ce qu’en espèrent leurs contradicteurs, genres d’instantanés sociologiques où les militants peuvent enfin donner libre cours à leurs instincts et se persuader que le grand soir ou l’aube du jour sont peut-être pour demain. On a pu le constater quand la foule s’est mise à hurler « Macron assassin », détail monté en épingle par l’ensemble de la classe politico-médiatique. Il serait néanmoins malséant de minorer la performance zemmourienne. Ce qu’a accompli l’ancien chroniqueur de C-News est un petit tour de force. Parti de rien, il a su créer un parti de toutes pièces, rallier à sa cause des dizaines de milliers d’adhérents, des cadres du Rassemblement National ou encore des Républicains, ressusciter Philippe de Villiers et Christine Boutin, remplir un Trocadéro, faire scander à une foule « remigration », et, last but not least, donner une cohérence aux orphelins de LR qui ne voulaient pas entendre parler de Marine Le Pen.

Bien que le candidat Eric Zemmour soit un produit neuf, il s’inscrit pleinement dans le clivage politique le plus traditionnel que la France connaît lors des siècles derniers

Il a ainsi levé un hiatus du paysage politique français en réunissant les conservateurs, identitaires, « droitards » ou populistes des deux rives. Est-ce suffisant pour former une majorité en France ? Répondons-y franchement, peut-être nous fera-t-on mentir : non. Ce qu’est Eric Zemmour et ce que sa campagne incarne ne peut pas être majoritaire en France autrement qu’en ayant l’extrême-gauche pour adversaire au soir du second tour – et encore serait-ce toujours hautement improbable -. On peut d’ailleurs supposer qu’il l’a compris, puisqu’il semble désormais vouloir se faire plaisir et faire plaisir à son public en multipliant les déclarations symboliques et en imposant son vocabulaire politique. Tout ça aurait pu être très intéressant et productif à long terme si Eric Zemmour n’avait pas commis quelques erreurs dont il a désormais du mal à se défaire des effets.

Sur la question de l’Ukraine, alors qu’il n’est finalement coupable de rien et que son propos, s’il était déjà maladroit il y a quelques années, n’en était pas moins relativement convenu, il n’a pas su se dépêtrer de l’image que ses adversaires ont voulu lui coller. Idem sur les femmes, la culture ou encore son discours social. À y regarder de plus près, son programme n’est pourtant pas plus libéral que celui d’Emmanuel Macron, étant plus volontiers proche du paternaliste capitalisme de connivence à la française que des théories d’Hayek … Ce n’est pas qu’il soit un mauvais candidat dans le fond, il est tout simplement « de droite », et pas d’une droite moderne… plutôt d’une droite qui ne se pense que dans l’opposition à tout, tant elle a longtemps été exclue du pouvoir et de ses réalités. De plus, son principal atout qu’est son programme en matière d’immigration ne diffère d’ailleurs que peu de celui de Marine Le Pen.

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Le mérite principal d’Eric Zemmour est donc d’avoir contribué à un phénomène naturel : l’ouverture de la fenêtre d’Overton. Il a rendu communes certaines expressions autrefois bannies des ondes, à l’image de la notion de « Grand Remplacement ». Va-t-il en condamner l’usage pour la suite ? C’est une possibilité qu’il ne faut pas exclure mais qui semble improbable tant les thèmes qu’il a portés font consensus dans la société, ou, a minima, sont défendus par d’importantes minorités agissantes. L’électorat plus plastique de Marine Le Pen, ainsi que sa force de pénétration dans les catégories populaires et chez les femmes, lui donnent aujourd’hui un léger avantage. Ce n’était pas gagné d’avance, elle a su profiter des bêtises de son adversaire. La dépeignant comme étant « nulle », il lui a enlevé une importante pression. Il lui suffit désormais de ne pas l’être pour bénéficier d’une image d’excellence – il faut d’ailleurs admettre qu’elle se comporte très bien lors des débats télévisés et que son programme est assez bien construit -.

La question est maintenant rhétorique : qui pour battre Macron ? La formule est à inventer, mais seule une nouvelle proposition pourra y répondre. Une proposition qui ne pourra plus refuser les grandes questions de l’époque, bien évidemment celle du changement de civilisation qu’a pris à son compte Eric Zemmour … sans faire l’économie de tout le reste et sans effrayer la majorité des Français. Surtout, peut-être, en dessinant une France qui ne soit pas un recyclage de l’esthétique pompidolienne. Qui parle de la France de demain ? De l’Europe et de ce qu’elle a d’essentiel pour notre avenir ? De la jeunesse ? Les Français ne veulent pas d’un syndic de faillites. Vaste programme !

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