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Quelque chose, noir

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Publié le

16 septembre 2019

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Le chanteur breton de Marquis de Sade, Philippe Pascal, est mort le 13 septembre. Hommage

 

 

Philippe Pascal est mort. Sans prévenir. La nouvelle m’est arrivée tardivement, sur mon téléphone, au cours d’un long trajet en voiture où la campagne hollandaise, sous un soleil suspect, scandait son ennui au rythme des éoliennes. Est-ce cela qu’il a fui ? Cette épouvantable pesanteur d’un monde sans éclat, de ces langueurs monotones dépourvues de mise en danger ?

 

Quarante ans en arrière, les adolescents de mon acabit passaient leurs samedis après-midi dans un bar du centre-ville de cette sous-préfecture bretonne à laquelle les chasseurs d’épices et la marine nationale avaient jadis donnée ses lettres de noblesse. C’est là que j’ai vu rentrer ce visage taillé à la serpe, flanqué de deux acolytes, droit comme un « I » dans son manteau noir au col relevé. On aurait dit le petit frère torturé de Sami Frey, un portrait de Bernard Buffet embué de la tristesse et de la profondeur d’un Modigliani. À cette époque, on ne prend pas de selfie. On regarde en coin l’icône, impressionné par cette froideur apparente, cette beauté singulière.

Pour les désespérés qui luttent contre la tentation de céder aux sirènes du brouillard définitif, il avait été une bouée magnifique, au milieu de nos océans de perplexité.

Les rubriques spécialisées ont toutes déjà fait tourner en boucle le même papier sur le grand inspirateur de la scène rennaise : la divine surprise de « Marquis de Sade », la séparation prématurée, le rebond de « Marc Seberg », le duo avec Pascale Le Berre, l’expérience blues venant interrompre un interminable silence, jusqu’au retour de MdS en 2017 et ce concert, presqu’irréel, le 16 septembre, dans cette ville où beaucoup de choses ont commencé et où, donc, tout finit deux ans après.

 

Lire aussi : Requiem pour un punk : l’hommage de Patrick Eudeline à Laurent Sinclair (Taxi girl)

 

Philippe Pascal est mort, et j’ai presque honte d’être aussi malheureux. Pour les désespérés qui luttent contre la tentation de céder aux sirènes du brouillard définitif, il avait été une bouée magnifique, au milieu de nos océans de perplexité. À son écoute, ce gouffre sans fond, cette déception sans fin qu’est la vie devenait un peu plus supportable, empanachée par son sobre sens de l’esthétique, sa conscience du tragique, sa culture authentiquement européenne, sa façon de faire justice aux maudits de tout poil.

À cette époque folle, dépourvue de courage, de dignité, de sens du beau et du bon, de culture et d’éducation, il ne manquait plus que la mort de Philippe Pascal.

Nous l’admirions. Nous avons pris des kilos, perdu des cheveux, laissé en route toutes nos illusions réfractaires, mais nous continuions à l’admirer, ce phare intermittent qui donnait à l’étouffant chant des terres brulées de nos existences déboussolées un point de mire au gout d’iode et de grand large. Je ne suis même pas sûr qu’il l’ignorait. Mais nous n’aurons malgré tout pas su l’amarrer plus longtemps au jour d’après.

 

À cette époque folle, dépourvue de courage, de dignité, de sens du beau et du bon, de culture et d’éducation, il ne manquait plus que la mort de Philippe Pascal.

 

Il flotte dans l’air quelque chose, noir. Ça risque de durer.

 

 

Olivier Gimenez Espinos

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