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The Push : le conformisme, outil d’ingénierie sociale

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Publié le

6 avril 2018

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Netflix

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Diffusée dans l’hexagone sur la plate-forme Netflix depuis le 27 février, l’émission The Push est la dernière création de l’illusionniste britannique Derren Brown. Un exercice étonnant et controversé de manipulation mentale à grande échelle, sorte de version pyrotechnique et putassière des expériences menées par Stanley Milgram dans les années 1950 et 1960, où Derren Brown tente de repousser les barrières morales d’individus sélectionnés sur casting pour leur propension à suivre les ordres. Et si, sous les outrances propres à la téléréalité, se cachait une réflexion plus large sur le conformisme dans les sociétés occidentales contemporaines ?

 

Sur la Route de Kerouac appartient à ces romans qui marquent profondément un esprit en formation, de ceux cherchant l’ivresse des sommets, préférant le voyage aux voyages. Dans toutes ces expériences littéraires, un même défi au conformisme, un même défi à soi-même : repousser ses « limites », refuser les contingences comme les futilités du temps, s’abandonner. « Les fous, les marginaux, les rebelles, les anticonformistes, les dissidents…tous ceux qui voient les choses différemment, qui ne respectent pas les règles. Vous pouvez les admirer ou les désapprouver, les glorifier ou les dénigrer. Mais vous ne pouvez pas les ignorer. Car ils changent les choses. Ils inventent, ils imaginent, ils explorent. Ils créent, ils inspirent. Ils font avancer l’humanité. Là où certains ne voient que folie, nous voyons du génie. Car seuls ceux qui sont assez fous pour penser qu’ils peuvent changer le monde y parviennent », manifestait donc l’icône d’une génération. 

 

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Puéril ? Certes, mais pas seulement. Jack Kerouac fut, tout au long de son existence, un anticonformiste. Il dut d’ailleurs payer un lourd tribut de cette attitude d’esprit, mort sans le sou à l’âge de 47 ans, non sans avoir auparavant légué une œuvre qui, si elle n’est pas exempte de défauts, continue à susciter des vocations. Alors que la Beat Generation était récupérée par les hippies, Jack Kerouac autrefois antimilitariste se déclarait partisan de la Guerre au Vietnam, et même patriote américain, lui le franco-canadien d’origine bretonne. Toujours borderline, toujours à contre-courant. Un marginal dénigrant ses héritiers. Mai 68 ? Rien de nature à intéresser un rebelle sans cause, mystique à demi délirant lors de ses dernières années. 

De la fureur de vivre à « Faites l’amour, pas la guerre », un siècle d’écart au moins. Au XXème siècle, le temps s’est accéléré, le présent se confondant avec le futur, se dissociant d’un passé qu’il fallait maintenir à l’écart, éloigner à toutes forces. Une question récurrente de l’Après-guerre fut d’ailleurs de déterminer ce qui avait bien pu pousser des millions d’Allemands à tomber dans une psychose collective qui mit le monde à feu et à sang. Comment des ronds-de-cuir ont-ils fait fonctionner, sans jamais protester, une telle machine de mort ? Le psychologue Stanley Milgram a tenté de résoudre le problème. Conduite entre 1960 et 1963, l’expérience de Milgram devait mesurer empiriquement le degré de soumission d’un individu à un ordre émanant d’une autorité légale, fût-il immoral. 

Une question récurrente de l’Après-guerre fut d’ailleurs de déterminer ce qui avait bien pu pousser des millions d’Allemands à tomber dans une psychose collective qui mit le monde à feu et à sang.

Les résultats de l’expérience de Milgram, contestés par certains spécialistes qui réprouvaient les méthodes du psychologue américain, furent néanmoins sans appel : la majorité des sujets testés finirent par infliger les pires tortures demandées par la personne ayant autorité sur eux. Même les plus réticents acceptèrent le principe de l’expérience. Etaient-ils tous des sadiques ? Pas le moins du monde. Les sujets appartenaient aux deux sexes, représentatifs de l’ensemble des classes sociales. Pourtant, presque tous ont accepté de blesser des « élèves » dans l’unique objectif de « vérifier leurs capacités d’apprentissage », à la demande d’un tiers qu’ils ne connaissaient absolument pas.

 

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À l’époque, les travaux de Milgram eurent un important retentissement, suffisamment pour choquer une opinion publique occidentale déjà traumatisée par les épreuves des deux Guerres mondiales, et les expériences passées, et en cours, du totalitarisme moderne. Stanley Milgram finit, bien plus tard, par écrire un livre analysant les réactions inattendues des sujets qu’il avait étudiés, ouvrage fondamental pour comprendre les ressorts qui poussent les individus à obéir aveuglément aux ordres les plus abjects : l’éducation, le respect rigide des idées dans l’air du temps, et, surtout, ce conformisme qui dégoutait Jack Kerouac. Au juste, qu’est-ce que le « conformisme » ? Est-ce simplement se soumettre aux idées majoritaires du groupe majoritaire par peur d’être en marge, exclu du cercle de la raison ? Ou, se pourrait-il que le conformisme ne soit qu’un comportement mimétique nous aidant à adopter des positions que nous pourrions autrement rejeter, dans certaines conditions utile au bon fonctionnement de la société ? Pour le dire plus clairement, l’animal grégaire qu’est l’homme n’est-il pas programmé à suivre le troupeau, y compris quand celui-ci fait fausse route, guidé par la petite musique de la pensée correcte qui, telle l’air du joueur du flûte de Hamelin, peut parfois nous conduire tout droit vers le précipice ?

L’animal grégaire qu’est l’homme n’est-il pas programmé à suivre le troupeau, y compris quand celui-ci fait fausse route, guidé par la petite musique de la pensée correcte ?

Jusqu’au meurtre ? C’est ce qu’a récemment essayé de démontrer l’illusionniste anglais Derren Brown dans l’émission The Push, où un individu sélectionné sur casting sur ses aptitudes moutonnières est poussé à commettre l’irréparable. The Push ressemble à un épisode de Black Mirror in real life, de même, il faut bien l’admettre, que la méthodologie de Derren Brown, peu regardante pour les quatre personnes piégées, leur intégrité psychique, ou leur retour à la vie de tous les jours, après que les téléspectateurs les auront découverts capables de nombreux actes que la morale réprouve, voire, je ne peux pas le dévoiler, en allant jusqu’à participer à un assassinat (fictif, heureusement). L’expérience de Milgram comme celle de Derren Brown, plus ludique et cinématographique, prouvent que nous sommes quasiment tous postulants à une programmation sociale, à un conditionnement.

Il sera d’ailleurs amusant de constater que pas un modèle de société n’échappe au conformisme. La France d’après Mai 68 devait accoucher d’un pays où tout pourrait être déconstruit, discuté, soumis à l’examen critique. C’est, du moins, ce qui avait été annoncé. Que s’est-il passé ? Un conformisme a chassé l’autre, encore plus virulent, sournois, misant sur l’auto censure, la pression saine de la morale supérieure. Big Brother s’est effacé pour laisser place à Big Mother et son chouchou Big Other. Quant aux dissidents autoproclamés, ils finissent par basculer dans un confort, celui du conformisme de l’anticonformisme, sorte de négatif de l’Empire du bien. Tout ce qui s’opposerait au « politiquement correct » serait forcément bon ! 

 

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L’instinct de l’homme le pousse à rejoindre un groupe, à en adopter les usages, en échange de quoi il en reçoit la protection. Que pourrait donc être l’anticonformisme dans une société de la surveillance de l’individu par lui-même, si ce n’est garder un tant soit peu de raison et de logique ? L’anticonformisme, s’il se réduit à l’observance stricte d’un dogme censé être l’antithèse du conformisme, n’est au fond qu’une passade pour les adolescents, ou ceux qui le restent à l’âge adulte. On le voit d’ailleurs dans le traitement de l’assassinat de l’agent double russe Sergeï Skripal, Poutine devenant le véhicule d’une lutte à mort entre le conformisme mainstream et le conformisme alternatif (ou, « dissident ») ; au détriment d’une analyse rationnelle des faits. Il faut se positionner, adhérer à un camp, se conformer à l’opinion dictée par des clercs, quels qu’ils soient.

 

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Du reste, il devient de plus en plus compliqué de s’affranchir du conformisme dans une société technique, dans laquelle le moindre objet du quotidien est doté d’un mécanisme sophistiqué, presque inaccessible à qui n’a pas fréquenté les bancs d’une école d’ingénieurs. Nous devons donc avoir confiance en des experts, des professionnels. Est-il toutefois prohibé de questionner et de se questionner ? Quand il est acquis que nous sommes presque tous enclins à tuer dès qu’une autorité nous en intime l’ordre, non pas direct mais indirect, y compris quand elle n’émane pas de l’Etat mais d’une simple entreprise privée, à l’exemple de ce que montre l’émission The Push, c’est que certaines permanences morales ont disparu. Conformisme et anticonformisme ont leur utilité, pourvu que le dosage soit équilibré, pourvu qu’une morale supérieure s’impose naturellement. Car, oui, l’homme reste toujours un loup pour l’homme.

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