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Au Caucase, la COVID_19 révèle la force des démocraties et la faiblesse des dictatures. Une tribune signée Valérie Boyer, député des Bouches-du-Rhône, et membre du Cercle d’Amitié France-Artsakh.
Le 12 mai 1994, voici 26 ans donc, prenait fin le conflit armé qui opposa le Haut-Karabagh à l’Azerbaïdjan, l’une des plus effroyables convulsions qui a marqué la chute de l’URSS. Les pogroms anti-arméniens organisés dès 1988 par les autorités de la République Socialiste Soviétique d’Azerbaïdjan avaient assez rapidement dégénéré en guerre ouverte contre ce Haut-Karabagh peuplé presque exclusivement d’Arméniens. C’est de cette guerre qui a contribué à la fin de l’empire soviétique qu’ont émergé les trois Etats indépendants signataires du cessez-le-feu de mai 1994, l’Arménie et l’Azerbaïdjan reconnus par la communauté internationale et l’ancien Haut-Karabagh devenu République d’Artsakh toujours en quête de cette reconnaissance qui lui fait encore défaut.
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26 ans plus tard, c’est peu de dire que le refus de l’Azerbaïdjan de toute négociation directe avec l’Artsakh et – plus généralement – de tout engagement en faveur d’une paix régionale juste et définitive rend fragile l’actuel régime de cessez-le-feu et élevés les risques de reprise du conflit. C’est aussi qu’entretemps l’Azerbaïdjan et de l’Artsakh ont pris des chemins très divergents.
On aurait pu penser que l’Azerbaïdjan, riverain de la mer Caspienne, riche en hydrocarbures, mette à profit toutes ces années de paix relative pour affirmer sa puissance économique et assurer un leadership régional. Or il n’en est rien : accaparée à son seul bénéfice par le clan Aliev depuis un quart de siècle, la richesse du pays a été dilapidée dans des avoirs aussi luxueux qu’improductifs, souvent via des paradis fiscaux comme l’ont révélé en leur temps et encore récemment les Panama Papers. Au résultat, l’Azerbaïdjan est à la merci d’une économie fragile et entièrement dépendante du cours de pétrole.
Aujourd’hui, avec ce cours au plus bas, avec désormais quatre des plus grandes banques du pays placées sous tutelle de la banque centrale pour éviter le défaut de paiement pur et simple, avec une pratique de cavalerie financière visant à maintenir coûte que coûte le cours du manat face aux devises de référence pour ne pas voir le pays sombrer dans une inflation à deux ou trois chiffres, avec enfin l’essentiel des réserves monétaires du fond souverain du pays dilapidé dans cette lutte à l’issue plus qu’incertaine, il est à craindre que son dirigeant ne recoure à la diversion artsakhiote, comme à chaque fois qu’il se trouve en mauvaise posture. Pour le régime de Bakou, l’aventure militaire laissant libre cours aux velléités belliqueuses de l’homme fort du régime est en effet une échappatoire commode à une situation socio-économique inextricable résultant de décennies d’impérities.
Par comparaison, on aura quelques difficultés à connaitre le véritable impact social et économique du COVID-19 sur l’Azerbaïdjan dont la principale réponse à la pandémie a consisté à lancer une nouvelle campagne d’arrestation visant ceux des opposants qui étaient encore libres.
Le contraste est frappant avec la République d’Artsakh et, à cet égard, la pandémie dont souffre actuellement le monde a un effet révélateur. En raison de l’absence de reconnaissance internationale, une absence dont il souffre et qui le pénalise néanmoins, le Haut-Karabagh s’est vu contraint de se développer en quasi-autarcie depuis 1994. Mais il l’a fait en se dotant de structures démocratiques et de l’ensemble des institutions et surtout des pratiques propres à l’Etat de droit : multipartisme, liberté de presse, élections présidentielles et législatives et structures médico-sociales propres à satisfaire gratuitement les besoins élémentaires d’une population essentiellement modeste et souvent pauvre. Si la pandémie a eu un effet très limité sur cet Etat, c’est parce que son bien involontaire isolement a pour une fois joué en sa faveur mais c’est aussi parce qu’il bénéficie des ressources systémiques propres aux sociétés libres : avec une gestion sanitaire sous contrôle démocratique, l’Artsakh n’a eu à ce jour que quatorze personnes contaminées dont six sont désormais guéries et huit toujours en soin.
Mieux, l’Artsakh s’est même donné les moyens de procéder à de nouvelles élections générales, combinant législatives et présidentielles. Si la tenue du second tour de la présidentielle en pleine pandémie a constitué l’objet de craintes légitimes et légitimement exprimées, les mesures sanitaires qui ont accompagné ce temps fort de la vie démocratique ont été couronnées de succès. Le pays dispose désormais d’un nouveau président en la personne d’Araïk Haroutiounyan et d’une Assemblée nationale renouvelée aptes à mener les réformes qui devraient permettre un essor économique accru pour un pays dont la croissance annuelle dépasse 5% depuis plusieurs années et qui était même de 9% en 2019.
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Par comparaison, on aura quelques difficultés à connaitre le véritable impact social et économique du COVID-19 sur l’Azerbaïdjan dont la principale réponse à la pandémie a consisté à lancer une nouvelle campagne d’arrestation visant ceux des opposants qui étaient encore libres. Le débat démocratique et la transparence sur les chiffres risquent donc d’être limités dans un pays que RSF vient de classer 168ème sur 180 en matière de liberté de la presse.
Se féliciter que les vertus démocratiques soient récompensées et leur absence punie serait cependant aller vite en besogne. Malgré leurs résultats encourageants, les Artsakhiotes continuent de souffrir d’un isolement aussi injuste que contraire à toutes les conventions internationales. Et le risque d’une nouvelle agression de la part de l’Azerbaïdjan s’accroit à mesure de ses échecs sociaux et économiques. C’est tout le sens de la réaction favorable de l’Artsakh à l’appel lancé le 23 mars en faveur d’un cessez-le-feu mondial immédiat par António Guterres. Oui, le Haut-Karabagh partage « le point de vue du Secrétaire général des Nations Unies selon lequel la vie de chaque personne doit être au centre des efforts collectifs de la communauté internationale dans la lutte contre la nouvelle pandémie de coronavirus » plutôt que de s’embarquer dans des conflits d’honneur d’un temps révolu.
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La pandémie nous contraint d’ores et déjà à réévaluer l’ensemble de nos valeurs et cela vaut aussi pour les relations internationales. Il est fini le temps où les pratiques politiques pouvaient faire fi des principes qui étaient censés les fonder. La communauté internationale doit se montrer plus ferme et plus claire que jamais en sachant gré à l’Artsakh de ses efforts démocratiques, en admettant cet Etat en son sein et en faisant enfin droit à son exigence de participer à des négociations de paix le concernant au premier chef. Elle doit aussi sanctionner sans ambages les discours de haine, les tentatives d’intimidation et les agressions militaires régulièrement opérées par le régime Aliev à la frontière de l’Artsakh et contraindre ce dernier à s’engager véritablement dans des négociations qui exigent des concessions mutuelles et donc des concessions de sa part également.
De manière plus profonde enfin, la résilience remarquable de la démocratie artsakhiote comparée aux difficultés de la dictature azerbaïdjanaise – deux Etats pourtant issus de la même matrice initiale – achève de démontrer, s’il le fallait encore, qu’il est criminel de sacrifier l’avenir de populations entières à des dictateurs incapables qui ne voient que la guerre comme solution aux problèmes économiques et sociaux dont ils sont généralement la principale cause, et qu’aggravent des de crises sanitaires et des cataclysmes mondiaux dont l’humanité n’est jamais à l’abri.
Valérie Boyer
Député des Bouches-du-Rhône
Membre du Cercle d’Amitié France-Artsakh