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Un peuple de statues

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Publié le

24 juin 2020

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Déboulonner les statues, c’est éradiquer la mémoire et l’histoire. C’est le propre des peuples décadents qui n’arrivent plus à assumer leur passé et ne veulent plus en vivre, soutient Marie-Hélène Verdier.
Faidherbe

Un « peuple de statues ». Tel est le titre donné par Jacqueline Lalouette, professeur émérite de  l’Université de Lille, à son livre paru en 2018, qui étudie, à travers 264 photographies de Gabriel Bouyé, les statues de pierre et de bronze qui ornent les places et les jardins publics de nos villes et de nos villages. Déboulonner les statues fut toujours un sport national. Mais ce sport prend, de nos jours, une tournure idéologique inquiétante. On connaît la réponse célèbre du duc de La Rochefoucauld-Liancourt à la question de Louis XVI : « C’est une révolte ? Non Sire, c’est une grande révolution ».

Déboulonner les statues fut toujours un sport national. Mais ce sport prend, de nos jours, une tournure idéologique inquiétante.

En ce moment, tout le monde y passe. Après Colbert, au tour de la statue de Faidherbe d’avoir été taguée, dans la nuit de samedi, avec « Colon, assassin ». (Honni soit qui mal y pense : cela se passait à Lille). Pourquoi Faidherbe, le héros qui a préservé la région de l’invasion prussienne ? Parce qu’il fut le gouverneur du Sénégal. À Bourges, la statue de Jacques Cœur a été taguée, avec l’inscription, en lettres rouges : « colonialisme. » À Villeneuve-sur-Lot, la statue de Gambetta a été enlevée de son socle. La pensée décoloniale, son terreau idéologique fertilisé par l’intersectionnalité des genres, a incubé dans les universités : il est maintenant dans la rue. Sous les pierres, l’indigène. Il est donc normal qu’on s’en prenne au peuple de pierre et de bronze qui rend visibles notre histoire, nos héros, notre mémoire.

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Jusqu’à la Révolution, les statues, souvent équestres, magnifiaient la grandeur du Roi et personnifiaient la religion. Elles ne se trouvaient pas sur les places publiques mais dans des lieux clos. À la révolution, on détruit les statues royales qu’on remplace par celles des grands hommes. Villes et villages montrent ainsi que l’histoire politique du pays se fait dans l’histoire municipale. Car c’est le conseil municipal qui décide de l’érection d’une statue. Les partis politiques s’affrontent parfois. Des rixes peuvent même naître, à l’occasion d’une inauguration. Peu importe : la même terre de France, royaliste et anticléricale, accueille, sur son sol, deux-cents statues de grands hommes catholiques et de cinq Papes.

La pensée décoloniale, son terreau idéologique fertilisé par l’intersectionnalité des genres, a incubé dans les universités : il est maintenant dans la rue.

Pendant la période de Vichy, le sort des statues fut problématique. Une loi de 1941 dite « la loi sur le bronze » réquisitionna les entreprises françaises, afin de collecter les métaux non ferreux dont le bronze des statues vers une fonderie à Hambourg. Dans les années d’après-guerre, on refait les statues fondues dont on a gardé les moulages. Mais la mode n’est plus aux statues héroïsées des grands hommes. On leur préfère les monuments symboliques . Ainsi, le « Rêve ailé » de Robert Rigot, en hommage à Eiffel, érigé à Dijon, la ville natale de Eiffel. Dans les années 9O— surprise !- la mode statuaire repart, avec des statues de Jaurès, Mendès France, Dreyfus, sans doute sous l’influence de Jack Lang et des commandes de l’État en 1980. Un buste monumental de Mitterrand, à Outreau couvre même tout un talus : il est vrai que Mitterrand était un amoureux de la France. L’année 2000 constitue une apothéose de l’art de la statuaire lors même qu’il n’est plus enseigné aux Beaux-Arts. Ensuite c’est la peopolisation qui prend le dessus avec les statues de Dalida, Piaf, Johnny.

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On n’en est plus là ! Au train d’enfer où vont les choses, il n’est pas une ville de France qui ne verra bientôt ses statues (Rois et chanteurs, artistes, écrivains, rockeurs) détruites, mutilées et remplacées. Sans parler des statues équestres de Louis XIV à Paris, Versailles, Montpellier, la ville de Dijon, riche d’histoire parlementaire, musicale, littéraire, scientifique—s’honore, certes, de la statue de Buffon et de Rude— l’auteur de La Marseillaise de l’Arc de triomphe est représenté tenant une petite Marianne dans la main— mais la statue de Jean-Philippe Rameau ! Comment trône -t-elle encore sur une place ! Rameau, le racialiste, avec ses Indes galantes dont l’air délicieux de la Danse dite « des sauvages » fut l’indicatif récent d’une émission de Radio Classique ! Vivement la nouvelle vague statuaire imminente de décolonialistes, d’indigénistes, d’antifas, avec leur inauguration par les élus locaux.

C’est toujours le même slogan depuis 1789 et 1968 et 1980 : « Du passé faisons table rase ».

À la télévision, c’est à qui dénonce, dans l’élite universitaire de tous les savoirs, la nécessité impérative, de remettre à plat, toutes affaires cessantes, notre passé colonial . Nous ne pouvons plus faire « l’économie » de ce révisionnisme. Et c’est toujours le même slogan depuis 1789 et 1968 et 1980 : « Du passé faisons table rase ». Brandissons-le comme une arme. Lançons des pierres. Taguons. Montrons le poing. L’inculture et la violence s’affichent sans vergogne, des universités aux lycées en passant par la rue. Les statues des Reines du jardin du Luxembourg ont intérêt à bien se tenir.

Emmanuel Macron a dit qu’il ne permettrait pas qu’aucune statue soit déboulonnée. Il a raison d’anticiper le sort qu’on pourrait faire à sa statue de pierre ou de bronze.

En 2013, Mona Ozouf écrivit un livre d’une intelligence lumineuse— Jules Ferry, La liberté et la tradition. Relisons cette phrase : « Dans son tableau des gauches françaises, Jacques Julliard fait, de Jules Ferry, un colonialiste au plein sens du terme. Colonisateur, assurément mais colonialiste, non, si l’épithète comporte la touche d’infamie qui la colore de nos jours ». Ce qui importait à Jules Ferry, l’homme le plus haï de la politique française dont tant de lycées portent le nom, c’est que les Français soient réintégrés dans l’entièreté de leur histoire. Ce que voulait Jules Ferry, c’est, un peu comme la Pucelle qui fut « sa payse », redonner l’unité à la France à travers l’enseignement. » Au lieu de cela, en ce moment, on enseigne aux petits Français, selon les propos de Jules Ferry « à détester leur passé pour n’y voir rien que des tristesses, rien que des misères, rien que des hontes ».

Relisons le livre de Mona Ozouf. Tant mieux que les mandarins soient déjà dépassés par leurs émules. Par ici, la sortie ! Ce qui est grave, en revanche, ce sont les coups de boutoir portés à l’école qui risquent d’être mortels. Sire, le socle de nos « valeurs républicaines » est en train de vaciller. Emmanuel Macron a dit qu’il ne permettrait pas qu’aucune statue soit déboulonnée. Il a raison d’anticiper le sort qu’on pourrait faire à sa statue de pierre ou de bronze.

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