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Zemmour à l’ISSEP

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Publié le

23 novembre 2018

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Crédit : capture Youtube Issep

Quartier reconquis sur les tristesses de la nuit, la Confluence où « jeunesse » de caïds et prostituées africaines composaient jusqu’il y a peu le paysage, a changé de visage sous les politiques volontaristes de la métropole. De vieux immeubles lyonnais finissaient de s’éroder, à l’endroit où s’élèvent désormais des éruptions architecturales « éco-friendly » et leurs étranges cataphractes d’acier. On a rêvé pour ce lieu où deux lits d’eau se rejoignent un futur brillant, conforme aux fantasmes bobos et aux visions universelles, mais le quartier n’est pas encore parvenu à séduire sa cible.

 

Pourtant, peu-à-peu, le quartier s’est peuplé d’étudiants. Des bars ont ouvert, des restaurants conceptuels, attirés par l’affluence du nouveau Moloch commercial qui repousse la misère plus loin, sous les ponts de l’autoroute. Si la Confluence a chassé son petit peuple, ses joutes fluviales et son folklore, elle se remplume avec une jeunesse festive et les petits ménages désargentés qui y font pousser leur marmaille.

C’est ici qu’est venue s’installer l’ISSEP, dont j’ai eu le privilège de visiter les locaux. Contrairement à ce qu’un reportage de France 3 montrait par suggestion, ceux-ci n’occupent pas l’intégralité de la structure, mais un bout de son rez-de-chaussée. Tout y est très propre, léché, avec son petit charme Ikea discret. L’un des fondateurs nous y a reçus un soir de novembre, alors qu’il finissait de nettoyer sur sa vitrine les derniers crachats démocratiques des antifas du coin.

Il est jeune, volontaire et décidé. Il faut l’être : l’école se tient sur le fil du rasoir : surveillée à gauche par les carnassiers médiatiques et les censeurs libertaires, cernée à droite par les peureux et les « attentionistes », les voies qu’elle emprunte sont ténues. Ad augusta per angusta, si j’ose dire, et si Dieu lui prête vie.

Après avoir visité salle de classe, cafétéria et studio télé (petit mais équipé high-tech), notre hôte, à la bonne franquette, nous propose d’assister à la prochaine conférence mensuelle de l’école, qui sera l’occasion d’entendre Zemmour présenter son dernier brûlot. Pour l’ISSEP, c’est presque une nouvelle inauguration, et comme une reconnaissance idéologique. Pour nous, ce sera l’occasion de goûter de près au bain de soufre, perspective éminemment réjouissante. Et puis, comble du piquant, on espère y voir Marion, LA Marion, dont on chuchote le nom dans tous les recoins de France, avec la même salive que pour les ragots de séries US. Reviendra ? Reviendra pas ? La jolie Maréchal est la star d’un feuilleton muet, au milieu d’un monde politique cacochyme aux sein de laquelle Macron serait comme une résurgence de poil noir dans la toison d’un vieux croulant. Un démon de la TV et une sémillante égérie : l’ISSEP serait pour un soir ze plèce tou bi. C’était il y a une semaine.

Ce soir-là, le calme du quartier nouveau est troublé par la présence de policiers en faction. La garde est débonnaire et peu nombreuse, quand on sait qu’à Lyon, la moindre sortie d’un groupe soupçonné de nazisme déclenche un ramdam policier qui ferait rougir Fouché. Deux camions de CRS, trois voitures de la Police Municipale font les cave-canem rue Denuzière. La petite foule emmitouflée qui patiente parle politique sous la surveillance de quelques mines patibulaires engagées pour faire la sécu. Des jeunes gens pour un bon tiers, je dirais, et une moitié de soixantenaires à l’allure bourgeoise. Tout est civil. On vient s’asseoir dans une salle de dimension moyenne, qu’ouvre une baie vitrée derrière laquelle on aperçoit monsieur Zemmour attablé à un micro, répondant aux questions des étudiants de l’école. L’œil de Marion veille. On la cherche des yeux, on se pousse du coude, beaucoup font semblant de ne pas être impressionnés. Ici, on aperçoit quelques personnalités lyonnaises de type bourgeois, là des jeunesses bravaches fort émoustillées de rencontrer deux figures du milieu.

 

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On s’empresse de trouver sa place et l’on patiente son quart d’heure lyonnais : la conférence prévue pour 18 heures commence avec un peu de retard. Dans le bourdonnement chenu, Zemmour s’installe et bientôt la maîtresse des lieux, qui commence sur un rythme cavalier, alors que les étudiants de tout-à-l’heure règlent leurs caméras et le téléphone qui diffuse en direct la conférence sur Facebook. Ils sont entrés, l’un après l’autre, sans applaudissements, comme on prend son tabouret au bar.

Marion Maréchal ne vient pas planter des carottes : la voilà qui s’élance tambour battant, et s’engage sur la voie de la discussion décousue. On leur pressent une complicité aux petites taquineries dont ils ponctuent leur discussion. Si Zemmour tacle la jeunesse de son hôte, celle-ci s’empresse de riposter qu’on luttera pour ses idées quand il sera en maison de retraite. On rit, et l’on continue. Dans un rôle inhabituel, Marion Maréchal fait la journaliste avec un certain brio, laissant à Zemmour du champ pour discourir, ce que ne lui autorisent généralement pas ses adversaires de la télé. Elle n’oublie pas de le remettre en chemin quand il s’égare sur Onfray et leurs disputes (« Ne réglez pas vos comptes avec Onfray, alors qu’il n’est pas là ! »), toujours avec bonhommie, certes, mais impérieuse, et ne s’empêche pas de l’acculer avec un sourire. Zemmour expose-t-il la prise de pouvoir des femmes dans l’histoire, Marion lui répond défaite de l’homme, faiblesse du mâle. C’est dit dans un rire, mais c’est dit. Les gens rient, approuvent, secouent beaucoup la tête en disant oui oui, bien sûr. Parfois, l’un ou l’autre commente le discours du polémiste. On se redit ses petites phrases, et l’on fait durer ses gausseries. Derrière moi, deux jeunes gens s’obstinent à discuter sur des chemins de traverse, assez faiblement pour ne pas gêner les discoureurs, assez fort pour emmerder les voisins. Quelques grognements les font taire.

 

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Marion Maréchal se trouve être assez égale à elle-même. On l’a vue sur des plateaux de télé, on la retrouve à l’identique, avec une vraie franchise décousue et son juste parler. La jeune femme impose une autorité qu’on sent lui venir naturellement. Elle taille patron, c’est un fait. Un mot, un geste, et les choses se font, comme on l’attend d’un chef. C’est revigorant à voir.

Autrement, rien de nouveau dans le discours de Zemmour : il parle de son livre, y puise l’essentiel de ses réponses. L’histoire comme socle de sa réflexion parce que garante de l’avenir, selon le mot d’Orwell, volonté de mise au rebut de tout ce qu’a été la France par nos élites, révolution féministe et falsifications historiques par les grands mouvements de pensée anti-nationaux. Zemmour parlera beaucoup de la collusion des élites avec l’étranger. Il sera question de Monnet qui vend le rêve gaulliste pour le profit d’une Europe libre-échangiste, de Laval qui se vend aux vainqueurs, et des traîtres qui vendent la France par exaltation de la paix. L’évêque Cauchon ayant été une forme ancienne mais vivace de cette engeance. De ce discours que l’on connaît pour l’avoir lu dans Destin Français, on relèvera une formule choc : pour le polémiste, la France est un canard sans tête depuis la Bérézina. Elle se promène par convulsions, et sans doute rapidement finira-t-elle dans les casseroles de l’histoire.

 

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La dernière partie de son intervention sera consacrée à la lutte entre deux civilisations, l’une moribonde – la nôtre – l’autre vivace, qui dispose d’un vivier, d’une foi vindicative et d’une volonté de domination : l’Islam. Notre période étant pour Zemmour un passage en revue de tous les siècles passés, que nous revivons, empilés les uns sur les autres, de Charles Martel à Mitterand, cette dernière lutte est un retour aux temps des conquêtes islamiques. Avec la différence que nous ne disposons plus, c’est un fait, des structures nécessaires à l’affirmation de notre pouvoir ou de nos volontés.

À la fin de la conférence, tout le monde se précipite lentement vers la table où Zemmour va signer. Il a pour chacun un gentil mot, s’amuse gentiment des demandeurs de selfie, se prête au jeu avec bonhommie. Il rit, paraît détendu, alors que sur la chaise qu’elle n’a pas quittée, Marion reçoit les sollicitations des uns et des autres. On vient lui transmettre des bonjours et des bravos qu’elle reçoit avec chaleur. On se promène ici dans une atmosphère franchement bon enfant.

Il me semblait cependant manquer au propos de Zemmour une précision, sur laquelle je l’interrogeai une fois la conférence à son terme : une question concernant Macron et sa pensée complexe. Croyait-il que sous la sibylline formule puisse se cacher une vision réellement nouvelle, profonde et universelle ? Réponse de Zemmour, dans un sourire : Macron, c’est la quintessence des élites française. C’est le haut de gamme des contradictions de ses prédécesseurs, avec ses faiblesses et ses forces, c’est l’aboutissement de l’ancien monde. Il n’a rien de nouveau à dire, et ne fait qu’alimenter l’immuable marché des collusions de ses maîtres. Amen.

Il m’est venu également une autre question, directement en rapport avec les lieux que nous occupions : quel avenir voyait-il pour les jeunes qui n’ont pas accepté les défaites, qui se veulent un avenir, et qui aimerait se donner les moyens de ne pas baisser la tête dans nos temps érodés ? Sa réponse est brutale et sans appel : la guerre. « Voyez-vous, me dit-il, je vais vous faire la réponse qu’un élève de Carl Schmitt faisait quand on lui posait cette question : la guerre. Oui, je suis pessimiste. Je pressens, pour la jeunesse d’aujourd’hui, un destin tragique. Je ne lui vois que la guerre comme horizon ».

 

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Sa réponse appelle en retour une réflexion que j’aimerais fondée aux sources de l’espérance, sans grande prétention. Je ne me fais pas au moule déterministe de Zemmour. Je ne crois pas qu’il n’existe plus de Français de 14, selon sa formule. Ou plutôt, je n’y crois pas plus que je ne crois qu’il ait encore existé des Français de Bouvines à Azincourt, ni des Français de Patay sous les bannières d’Henri IV. Il n’y a certes plus de Français de 14 parmi nous, mais qui sont ceux qui moururent sur les chemins de Cao-Bang ou dans les ruelles de la Médina ? Sont-ils moins des enfants de nos campagnes que les glorieux du Chemin des dames ? Oui dans un sens, mais ils sont nos pères, eux aussi. Certes les temps sont à vomir, et nous entendons Saint-Exupéry haïr son époque de toutes ses forces, et nous comprenons la révolte nécessaire des cœurs volontaires.

Les campagnes ont été désertées, les clochers sonnent au vide – quand ils sonnent – et la jeunesse crève entre Facebook et les « safespace », loin de sa terre et du mystère dont elle est enfant. On ne va plus par villages, on se méfie, on s’enferme en soi, on dit merde au bien commun. On n’honore plus les morts, on pavane sur des voies sans Dieu et l’on erre sans nom. La chose est dite, et redite : nous sommes nourris de catastrophisme ; c’est la sauce de la viande moderne. Dura realitas sed realitas. Pourtant le glaive attend son porteur, la voix attend sa gorge ; l’un et l’autre sont posés dans le grenier. Ne reste plus qu’à les laver de leur poussière.

Je ne vois pas que le combat ni la mort soient choses tragiques. On joue peut-être ici avec les mots, certes, mais aux soupirs il faut répondre par un cri rigolard et une franche bourrade. Zemmour soupire à l’évocation du cadavre de son pays : certains parmi nous tremblent d’une autre force, d’une autre volonté, et n’ont pas résolu de se coucher par terre. Il y en a, du fond d’une vieille mémoire, qui ont compris, qui voient, et qui disent. C’est déjà beaucoup. Tous n’ont pas accepté de se taire encore. Pour le dire plus simplement : le sang n’a pas séché dans les veines. Et tant qu’il coule, le cadavre ne sera pas tout-à-fait mort.

Enfin je répondrais dans un sursaut : et la Pologne alors ? Cadavre pourrissant, donné crevé pour l’éternité sous les bottes rouges. Quelle renaissance ! On a pris l’habitude de dire : hier, le Liban, aujourd’hui, la France. Innovons et souhaitons : hier la Pologne, demain la France.

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