Le texte commence plutôt bien, pourtant. Bien qu’ils ne parviennent pas à cacher leur agacement, les auteurs semblent vouloir répondre aux questions soulevées et non régler des comptes avec ceux qui ont osé émettre des doutes sur leurs conclusions. Certes, la proclamation solennelle du choix de la « dignité » peut inquiéter un peu, tant le mot est plus souvent présent que la chose, mais la suite tend à rassurer. On lit des arguments précis et rigoureux, qui citent largement les reproches de l’Académie sans en déformer le sens. Tout ne convainc pas, bien sûr, et les chiffres assénés demeurent « fragiles », mais on est sur le point de se réjouir que la querelle ait rendu possible cette mise au point et que la CIASE ait enfin daigné répondre à tous ceux qui, depuis au moins deux ans, s’interrogeaient sur le sérieux historique de ses méthodes et sur sa neutralité idéologique.
On est même prêt à y croire, quand on lit : « Ni elle, ni aucune instance extérieure ne s’est érigée en juge de ce que l’Église fait, ne fait pas ou doit faire ». On se prend à avoir envie d’oublier la conclusion d’une des annexes du rapport, à propos de « la domination masculine » et plus particulièrement du « fonctionnement d’un système patriarcal » : « Ses effets y apparaissent exacerbés, d’autant plus que l’interdit de la sexualité des prêtres fait écho à une forme de diabolisation de celle de la femme. L’institution ecclésiale revendique encore ouvertement la domination masculine et l’inscrit dans sa culture et dans ses structures. Tant qu’elle refusera de renoncer au monopole masculin du pouvoir et à sa métaphorisation paternelle qui, toute symbolique qu’elle soit, n’en a pas moins des effets réels, le risque de violence sexuelle au sein de l’Église catholique restera d’actualité ». Au nom de la sacro-sainte bienveillance, on finit par se convaincre que ce n’était pas un jugement ou bien qu’il est là par mégarde, suite à une erreur de copier-coller.
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Dans un élan consensuel, on en vient même à oublier que la ressemblance entre Jean-Marc Sauvé et de Gaulle, pointée par plusieurs commentateurs, nous avait fait penser à un dessin de presse des années 60. À genoux devant Paul VI, le Général déclarait : « Nous avons un point commun : l’infaillibilité ». Bref, nous étions presque disposés à appeler le « président » de la CIASE Sa Sainteté, surtout quand il faisait ce rappel opportun : « Encore une fois, il faut rappeler que le mandat de la CIASE n’était ni théologique, ni exégétique, ni ecclésiologique, et encore moins doctrinal. » Deo gratias !
Et soudain, patatras. La tentation devait être trop forte ; le nouvel anathème arrive. De la défense, la CIASE passe à l’attaque et à l’insinuation : « En fait, ce que reproche l’Académie à la CIASE a des racines plus profondes. Elle n’accepte tout simplement pas que l’Église catholique ait confié à des laïcs, croyants ou non, c’est-à-dire à des personnes autres que des clercs – merci pour l’explication du mot laïc au lecteur analphabète ! –, le soin d’éclairer le sujet de la pédocriminalité en son sein, d’évaluer la manière dont ces questions avaient été traitées et de faire toute recommandation utile ». C’est feindre d’ignorer que la majorité des signataires du texte de l’Académie catholique sont des laïcs. Commencée comme une réponse argumentée à un acte d’accusation, le texte de la CIASE vire au crime d’intention. Pas la moindre citation de l’Académie à l’appui, cette fois. L’accusation suprême tombe alors du Ciel : « L’Académie succombe ainsi au piège du cléricalisme ». Ça y est, le camp du bien peut rassembler ses troupes : le cléricalisme, voilà l’ennemi !
Les auteurs de la réponse de la CIASE n’ont pas l’air de percevoir la bizarre contradiction de leur propos : pour ne pas faire preuve de cléricalisme, il faut suivre aveuglément ce que disent le Pape et les évêques !
Le plus consternant est ce qui suit : « Par ses critiques, elle [l’Académie] s’en prend bien plus aux mandants de la CIASE – la Conférence des évêques et la Conférence des religieux et religieuses de France – qu’à la Commission elle-même et, en outre, elle prend avec détermination le contre-pied des enseignements très clairs du pape François qui fustige avec une constante rigueur les poisons du cléricalisme et de l’autoréférentialité. » Les auteurs de la réponse de la CIASE n’ont pas l’air de percevoir la bizarre contradiction de leur propos : pour ne pas faire preuve de cléricalisme, il faut suivre aveuglément ce que disent le Pape et les évêques !
Dès lors, sûre de son bon droit et de sa dignité morale irréprochable, la CIASE conclut triomphalement : « La Commission prend acte de la contradiction entre la position de ses détracteurs et celle des plus hautes autorités de l’Église. » Elle avait écrit un peu plus tôt : « En définitive, la CIASE croit que l’Académie catholique de France devrait faire preuve de plus de considération pour ce qu’écrit le Pape ». Bien entendu, il n’y a nul cléricalisme dans cette remarque. Quand le Pape est François et que c’est la CIASE qui parle, la papolâtrie devient une vertu cardinale et le clérical est celui qui ne s’incline pas. Aucun doute, le nouveau cléricalisme consiste à dénoncer le cléricalisme.
Ceci dit, l’Académie catholique n’a en l’occurrence jamais remis en cause l’autorité pontificale et la CIASE ne fait que tenter lourdement de s’attribuer par ricochet le magistère qu’elle prétend défendre. En somme, la stratégie des signataires revient à dire : nous seuls faisons ce que demande le Pape, donc nous seuls sommes légitimes et, plus bizarrement, nous seuls ne sommes pas coupables de cléricalisme.
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La CIASE a cent fois raison de rappeler que les laïcs ont toute légitimité pour contribuer à la réflexion, mais elle a mille fois tort de prétendre qu’ils ne l’ont que s’ils ont reçu un mandat pour cela. Fort de sa raison éclairée par les Écritures et par la Tradition, tout baptisé peut légitimement discuter non seulement le rapport de la CIASE, mais aussi telle décision épiscopale, dans un souci de charité et de justice.
Les laïques ne font pas qu’appartenir à l’Église, « ils sont l’Église » avait solennellement affirmé Pie XII en 1946 devant les nouveaux cardinaux. Au nom de cette affirmation papale qui n’a pas été remise en cause par Vatican II et qui figure dans le Catéchisme de l’Église Catholique (n° 899), les membres de l’Académie catholique, comme d’autres baptisés, ont estimé bon de soulever une série d’objections. Ils n’avaient aucune autorisation à demander à qui que ce soit, et sûrement pas à la CIASE.
On se réjouit très sincèrement que la CIASE ait tenté de répondre aux huit membres de l’Académie catholique. En revanche, son texte démontre qu’elle s’attribue une fois de plus un privilège exorbitant. L’accusation de cléricalisme, qu’elle adresse à des laïcs qui auraient commis le crime d’être moins fidèles au Pape et aux évêques qu’elle, n’est pas seulement inepte par l’énormité de sa contradiction. Elle témoigne de la certitude d’avoir le monopole de la parole autorisée et d’un refus autoritaire d’admettre qu’un baptisé puisse s’exprimer sans mandat. Faut-il désormais demander un passe à la CIASE pour avoir voix au chapitre ?