Ce n’est qu’en 2018 que la France intègre le marché des drogues à son PIB, suite à une demande de l’institut Eurostat, afin d’estimer au mieux la participation de chacun au budget européen. Selon les chiffres publiés par l’Insee, le trafic de drogue génère en France une moyenne de 2,7 milliards d’euros, soit 0,1 % du PIB. Des chiffres qui devraient être probablement revus à la hausse, car ils ne comportent pas certaines « consommations intermédiaires » (entretien des « nourrices », location de véhicules, etc.)
Un trafic à la pointe du capitalisme
Parmi les symptômes d’une souveraineté décroissante, l’insolente santé des économies souterraines fait figure de symbole. Si les pouvoirs publics pouvaient se targuer il y a 40 ans, à l’époque de la fameuse French connection, d’avoir une visibilité sur cette criminalité et sur ceux qui la font, les récentes mutations du marché ont fait du narcotrafic une criminalité non seulement toute puissante mais plurielle, insaisissable car désormais adaptée à tous les secteurs géographiques, depuis les plaines de la Beauce où le paysan en déshérence peut tout à fait consommer de l’héroïne pure à 80 %, jusqu’aux faubourgs du nord-est parisien où les modous – ces trafiquants de crack originaires du Sénégal – transforment toute une population déclassée en zombies pathétiques. « On a l’impression de se battre à coups d’éoliennes contre une force nucléaire », avouera à mi-voix une source qui travaille aux stupéfiants. D’autant que la police n’est pas aidée par un appareil juridique kafkaïen qui donnera toujours raison aux criminels… quitte à mettre les victimes de côté.
Les récentes adaptations du trafic aux lois du marché transforment certains quartiers en zones de guerre civile
Et elles sont nombreuses, les victimes du trafic de drogue en France, même si elles sont invisibles. Sans parler du risque de santé publique pour les consommateurs, les récentes adaptations du trafic aux lois du marché transforment certains quartiers en zones de guerre civile. Les assassinats commis en marge de la vente de drogue se chiffraient à 60 en 2020, pour plus de 250 blessés graves. Et ce n’est qu’une estimation basse, qui ne comptabilise pas les non-résidents français. Ainsi, des villes autrefois réputées pour leur calme sont devenues en quelques mois le cadre de véritables batailles rangées entre « familles ». Voir l’année 2021 à Dijon, où les trafiquants maghrébins se sont mesurés aux trafiquants albanais à coups d’armes de guerre. Il est bien loin le temps où le trafic était détenu majoritairement par la mafia corse, avec son code d’honneur et son relatif « maintien de la paix » dans les zones qu’elle « protégeait ». Le trafic est aujourd’hui à la pointe du capitalisme, c’est même son syndrome le plus évident, le plus terminal.
Trafic : les vrais chiffres
Selon un rapport publié en 2016 par la Mission Interministérielle de Lutte contre les Drogues et les Conduites Addictives (MILDECA), on apprend qu’un réseau de cocaïne représente l’équivalent d’une PME de cinquante à cent personnes qui génèrent environ quinze millions d’euros de chiffre d’affaires. Il y en avait 23 de ce type en France en 2010. Mais il ne faut pas croire que l’argent de la drogue profite à tout le monde. Les trafiquants ne partagent pas leur magot. Le trafic produit 40 % de revenu net, exclusivement réservé à la tête de réseau. D’après la MILDECA il existait aussi 1 096 réseaux de vente de cannabis en 2010, dont le chiffre d’affaires moyen était de 466 188 euros. Le nombre total d’emplois était de 236 556 emplois, mais les emplois à temps plein ne représentaient que vingt à trente mille individus, rémunérés 5 000 euros mensuels en moyenne pour stocker et acheminer les stupéfiants sur le territoire français. L’Insee a expliqué que ce chiffre était relativement faible mais que « les réseaux mobilisent un nombre important d’intermédiaires dont le trafic de drogue n’est pas la principale source de revenus ». La masse du personnel des trafics de drogue, ce sont les prête-mains, nourrices, guetteurs, coupeurs et surtout les détaillants, défrayés d’après le rapport de la MILDECA à hauteur de 4 500 à 10 000 euros par an. Ils étaient environ 230 000 personnes en 2010, à prendre des risques en étant mal payés. En 2022, ils sont peut-être une fois et demie ou deux fois plus, mais les fondamentaux du modèle d’affaire n’ont sans doute pas changé. Le petit personnel est peu rémunéré, ce qui explique sans doute le profil robot des vendeurs détaillants appréhendés par la police. Sylvain de Mullenheim
Une lente destruction du cadre juridique
Un narcocapitalisme qui fonctionne comme une sorte d’économie primitive, décomplexée, sur laquelle l’État n’a aucun moyen de régulation. Et qui se fortifie grâce à une classe politique dévoyée. « Il ne faut pas oublier que toute une classe politique est issue du monde des avocats, et que la représentation parlementaire est elle-même très influencée par cette corporation, affirme cette même source. Or, quel est le but d’un avocat ? Rendre la vie plus facile aux criminels, et éventuellement adoucir la loi pour les édiles corrompus ».
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Vient se corréler à ça, depuis les années 90, toute cette fameuse magistrature issue de la camarilla socialiste. En 1998, tout s’est accéléré avec Élisabeth Guigou, alors ministre de l’Intérieur, lorsqu’elle renforce la présomption d’innocence et raréfie les inculpations. Désormais, on n’inculpe plus : on met en examen. Au-delà du changement sémantique – toujours crucial – c’est un changement radical de paradigme. Le politique se protège ainsi de l’intrusion de la police judiciaire : « Avec en ligne de mire le vieux rêve des élites de supprimer le juge d’instruction, qui n’a jamais été aussi actuel », déplore notre source. Dans un monde où la procédure pénale est devenue si labyrinthique et ubuesque que les criminels et dealers de tout poil sortent des tribunaux le sourire aux lèvres parfois en pérorant sur les réseaux sociaux. Les quartiers les plus sensibles gagnent ainsi leur indépendance avec la complicité de certains maires qui n’hésitent pas à fermer les yeux sur les activités des familles en échange de réserves de voix – ce fut le cas de la plupart des banlieues rouges, mais pas seulement (voir le cas emblématique de Drancy).
Un nouveau triangle d’or à la fois religieux, socio-économique et criminel
Le triangle d’or qui s’installe aujourd’hui dans les quartiers est d’une tout autre nature : il est à la fois religieux, socioéconomique et criminel : la référence patriarcale ultime, c’est le dealer, qui montre la voie de l’enrichissement aux plus jeunes, secondés par l’imam, qui leur permet de se dédouaner de leurs crimes à moindres frais. Au croisement de ces influences c’est une authentique anti-France qui se dessine. Une anti-France qu’on n’hésite pas à alimenter en subsides, en aides – légales ou illégales. Si la France n’est pas (encore) un narco-État, le territoire français en revanche se détaille désormais en narco-départements, dont la Seine-Saint-Denis est sans doute la locomotive. Des systèmes forclos qui tournent à plein régime au nez et à la barbe des forces de l’ordre, depuis l’importation massive de drogues et d’armes jusqu’au blanchiment d’argent. Le blanchiment qui fait pulluler dans nos villes kebab, sandwicheries halals, bars à chichas et autres commerces fortement communautarisés où les petites mains des narcos prennent du bon temps : la boucle est bouclée.
Les criminels ne voient plus en la France une opposition réelle, mais simplement une entité aux contours flous, un clafoutis administratif qu’on peut facilement pulvériser
Parce que la demande est toujours plus forte, n’importe qui peut aujourd’hui créer son call-center dédié aux substances illicites. Le profil-type est toujours le même : dans les quartiers, les Nord-Africains et les Maghrébins jouent aux Tony Montana du bled. En province, l’équation est de plus en plus complexe : des diasporas concurrentes se partagent le marché, provoquant des flambées de violence : si l’héroïne notamment revient en force dans nos campagnes, c’est parce que les mafias turques et albanaises s’en disputent le commerce et cassent les prix. Aujourd’hui, on peut se procurer un gramme d’héroïne blanche à moins de 40 euros.
Les criminels ne voient plus en la France une opposition réelle, mais simplement une entité aux contours flous, un clafoutis administratif qu’on peut facilement pulvériser. Et lorsqu’un chef d’État comme Nicolas Sarkozy se réclame d’une droite répressive, il fait en réalité le jeu de la gauche. « On l’a élu sur un programme de Patrick Buisson, il a fait du Carla Bruni », observe notre source policière. Résultat : depuis Sarkozy, les étrangers en situation irrégulière sont quasiment inexpulsables. Y compris lorsqu’ils ont commis un délit… une autoroute pour l’économie souterraine.
Une souveraineté techno-criminelle
Mais l’autre grand moteur du trafic, c’est la technologie, et notamment celle des GAFAM : voire le réseau Caliweed, démantelé cette année, qui fonctionnait comme une authentique entreprise commerciale, avec ses livreurs, ses grossistes, et même ses conseillers en marketing. Se faire livrer de la cocaïne chez soi devient aussi facile que de se faire livrer une pizza. Disponibles en quelques clics sur des messageries cryptées comme Telegram ou What’s App, Caliweed et consorts proposent même des cadeaux en cas de parrainage, des cartes de “délité… et font de la publicité agressive, se rachetant à prix d’or, entre elles, des listings de clients. Une liste de 200 numéros de téléphone peut ainsi se revendre entre 5 000 et 10 000 euros à un call-center. Qui sait pertinemment que son argent investi sera amorti en moins de trois jours. Avec l’uberisation du trafic, la vente de la drogue n’a jamais été aussi proche d’un commerce légal et totalement décomplexé.
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Le spectre de l’anti-France
On voit comment ici, l’État criminel profite à la fois de l’ingérence politique et la puissance numérique offerte sur un plateau d’argent par les GAFAM. À cette puissance commerciale et à cette impunité juridique, s’ajoute une forme de culture de l’anti-France qui culmine avec cette idée, largement véhiculée dans les clips de raps : l’idée que le trafic de drogue affaiblit la France, affaiblit l’Occident et notamment les « babtous » (blancs, en argot sénégalais). Pour l’heure, il semble que le gouvernement soit dans un état de sidération face à cette criminalité qui vérole l’hexagone. Pendant le confinement, les choses au moins étaient claires : les seuls à pouvoir circuler librement, c’était les crackés de La Chapelle et les dealers qui sillonnaient la capitale en scooter, devant une maréchaussée complaisante qui se contentait de verbaliser les ménagères sans attestation.
Guyane : le nez dans la poudreuse
La Guyane est devenue en quelques années une des principales portes d’entrée de la cocaïne en Europe. Le trafic y est devenu si intense que les pouvoirs publics semblent baisser les bras : cet été, le procureur de la République a décidé que les saisies de cocaïne de moins d’1,5 kg seraient désormais classées sans suite, ouvrant de nouveaux horizons d’impunité à toutes les « mules » qui traversent l’Atlantique. Une véritable gifle pour les associations locales de lutte antidrogue, qui estiment que leur travail est « saboté par l’État en personne ». Si le trafic a explosé depuis 2015, c’est que la route vénézuélienne empruntée jusque-là par les cartels était devenue trop surveillée. Résultat, on se détourne vers le Surinam et vers la Guyane. Entre les deux, le fleuve Maroni et ses multiples ethnies qui deviennent peu à peu des passeurs privilégiés. Avec une double optique pour les Surinamiens : faire fortune de l’autre côté du fleuve, et si possible donner naissance à un enfant qui sera, de fait, français et pourra jouir de toutes les aides prodiguées par la métropole. MO