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Les critiques littéraires de février 2/2

INCONTOURNABLE

La Consolation des choses rondes de Clemens J. Setz, Actes Sud/Jacqueline Chambon, 300 p., 22,80 €

 Clemens J. Setz signe un recueil de nouvelles troublant, armé d’une langue inventive, rompue à l’art de faire surgir l’étrange au cœur de l’ordinaire sans pour autant s’aventurer dans le fantastique pur. Non sans humour, l’auteur autrichien soumet son lecteur au vertige avec une finesse déstabilisante. Ici, la solitude et l’inquiétude dominent jusqu’à un point de bascule insaisissable, ouvert sur des questions obsédantes. Dans les faits : un écrivain découvre que le domicile conjugal se transforme en lazaret, sous l’œil bienveillant de celle qu’il croyait connaître ; une infirmière scolaire licenciée force un élève de dix ans à dormir chez elle, le traitant comme un adulte égoïste ; une mère réclame la prestation d’un escort-boy en présence de son fils polyhandicapé – pages poignantes dans un décor scandinave saisissant… Ainsi va le monde de Clemens J. Setz et ces images percutantes, étourdissantes, inconsolées, amenées à pas de loup. Le recueil incontournable de la rentrée. Alain Leroy

LE ROI DES MONGOLS

Ungern, le dieu de la guerre de Jean Mabire, illustré par Jacques Terpant, Lohengrin, 418 p – 25 €

Les éditions Lohengrin rééditent le livre de Jean Mabire, qui conte les dernières chevauchées du dernier général russe blanc, aventurier impitoyable et génial qui rêva de reconstituer l’empire de Gengis Khan. Mabire possède d’incontestables dons de conteur, souffle sur nos visages le vent torride de la steppe et restitue dans toute son intensité le destin tragique d’Ungern. Ce travail d’incarnation trouve ici le soutien habile du crayon de Terpant, dont les illustrations précises et intenses ont pour seul défaut d’être trop peu nombreuses. Seulement, l’on finit par s’ennuyer de la pornographie de violence sadique étalée au long des pages par Mabire, et de l’éthique néo-païenne à laquelle elle se rattache. Mabire croit en effet, enthousiaste, trouver dans Ungern une figure préfasciste, ou plutôt superfasciste et dénonce le christianisme comme précurseur du soi-disant « judéobolchévisme ». Le roman historique de qualité que Mabire aurait pu écrire se gâche en programme bavard à l’idéal abruti, rehaussé pourtant ici par une édition de luxe. Ange Appino [...]

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Cyberpunk 2077, sombre et somptueuse épopée

Dans le jeu vidéo, comme dans les autres arts, se côtoient le meilleur et le pire. Et comme souvent, le plus commercial n’est pas nécessairement le plus qualitatif. C’est peut-être pour cette raison que ce support culturel n’est pas encore reconnu unanimement comme un art à part entière. Mais la bande dessinée a connu les mêmes difficultés à faire connaître son génie propre, et devenir le neuvième art.

Le jeu vidéo est la synthèse d’autres arts. La modélisation des personnages est une sculpture au sens strict. La profondeur de champ, le placement de la caméra, le placement des personnages dans l’espace, la gestion de l’éclairage, tout cela s’inspire de la peinture classique. Les mouvements de caméra et la liberté contrôlée proposée au joueur, les cinématiques, sont des pièces de cinéma. La musique tient une place centrale, et les meilleurs compositeurs de musique classique, électronique ou de variété, participent aux bandes originales. Il est de plus en plus commun que des comédiens de renom jouent des personnages avec lesquels le joueur interagit, prêtant jeu et image. Enfin, l’écriture y tient la même place que dans le cinéma : répliques et monologues sont aussi travaillés que dans une pièce de théâtre. La synthèse de ces différents types d’expression au service d’une expérience narrative rend possible une immersion très prenante, génératrice d’émotions et de questionnements, au même titre qu’une visite dans la galerie Richelieu au Louvre, le visionnage d’un film de Paolo Sorrentino, ou le plongeon dans un recueil de poèmes de Théophile Gautier. [...]

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Le survivalisme est-il le nouveau genre à la mode ?

L’apocalypse serait-elle devenue fréquentable ? Pour préparer l’effondrement de la civilisation industrielle, plus besoin de jouer les Robinson Crusoé en constituant des stocks de vivres et d’armes ni d’envoyer des colis piégés comme le terroriste Unabomber. Exeunt les stages de survie en milieu hostile pour rednecks en treillis camouflage. Désormais, tout un chacun peut s’improviser collapsologue le temps d’une soirée sans pour autant fournir d’efforts surhumains. Pour cela, il suffit de s’installer confortablement devant son téléviseur et de laisser aller son imagination. [...]

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Murat – Romanov : l’interview croisée des descendants

Frédéric de Natal : Les guerres napoléoniennes ont profondément marqué la culture russe. La campagne de Russie a été relatée par Léon Tolstoï dans son célèbre roman historique « Guerre et Paix ». Plus proche de nous, durant la Seconde Guerre mondiale, l’invasion allemande de l’Union soviétique a souvent été mise en parallèle avec la campagne de Russie. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi appelle-t-on cette campagne dans vos livres d’histoire, la « Guerre patriotique de 1812 » ?

Grand-duc Georges de Russie : En russe, il y a une certaine différence sémantique entre les termes « patriotique » et « Otetchestvennaya ». Les deux mots sont utilisés et sont synonymes, à la différence que le mot « patriotique » que vous utilisez est d'origine étrangère alors que celui d’« Otetchestvennaya » est purement slave. Toute forme de défense de la patrie est un acte de patriotisme. La « Guerre Otetchestvennaya » a été précisément une guerre de défense pour la mère-patrie puisque notre liberté et notre indépendance étaient menacées. En outre, le terme « Otetchestvennaya » traduit aussi notre capacité à nous unir lorsqu’il s’agit de protéger l'héritage de nos ancêtres, quelques soient les origines sociales de chacun et en dépit des divisions qui perdurent en temps de paix.

Frédéric de Natal : Vous êtes le descendant du Maréchal Murat dont on peut dire qu’il n’a été guère enthousiaste à l’idée d’accompagner Napoléon Ier dans sa conquête de la Russie. Quelles furent ses actions durant cette campagne, dont il avait au préalable averti son beau-frère des plus grand périls ? Sont-elles décisives dans la prise de Moscou ?

P. J. Murat : Murat était effectivement défavorable à l’attaque contre la Russie. Mais en 1812, l’Empereur n’écoutait déjà plus les conseils de son entourage. Le traité de paix signé à Tilsitt en 1807 avec le Tsar, suite aux très violentes victoires françaises d’Eylau et Friedland, imposait des conditions compliquées pour la Russie. En particulier le blocus contre l’Angleterre que la Russie ne respectera pas. La voie diplomatique aurait pu être préférée à l'action militaire. Mais Napoléon veut frapper vite et fort en poussant les armées du prince Piotr Bagration et du prince Barclay de Tolly à se rejoindre pour les détruire et éviter ainsi une campagne longue sur le sol russe. Il met d’ailleurs à contribution son petit frère Jérôme [roi de Westphalie-ndlr] et le maréchal Davout. Davout fait, une fois de plus, un travail remarquable dans cette poursuite, mais Jérôme, lui, n’arrive pas à rattraper Bagration, retarde gravement la progression des armées françaises et fait capoter complétement le plan de l’Empereur qui, furieux, devra s’enfoncer sur le territoire russe avec les conséquences désastreuses que l’on sait.

Murat était effectivement défavorable à l’attaque contre la Russie. Mais en 1812, l’Empereur n’écoutait déjà plus les conseils de son entourage

Jérôme rentre en Allemagne et ne participera pas à la campagne de Russie. Si le plan initial de l’Empereur avait fonctionné cette campagne se serait arrêtée au mois de juillet sur une victoire française et l’avenir de l’Empire aurait complétement changé. S’en suivra la marche vers Moscou avec des victoires françaises à Krasny, Smolensk, Valoutina Goura (où Gudin sera très grièvement blessé et mourra quelques jours plus tard de ses blessures) puis bien sûr la Moskowa. Borodino pour les Russes, la bataille des géants, plus de 80 000 morts. Les maréchaux Murat, Ney, Davout enchaineront les prouesses militaires. Mais si toutes ces batailles sont incontestablement des victoires françaises, ce sont des victoires en demi-teinte d’où l’armée russe parvient à chaque fois à s’échapper. Après Borodino nous entrons dans Moscou, désertée par les Russes.

Frédéric de Natal : Tout commence bien pourtant pour Napoléon et sa Grande armée qui avancent très rapidement à travers la Russie. Napoléon Ier entre dans Moscou, ville aux mille églises, espérant une capitulation du Tsar Alexandre Ier qui ne vient pas. Le 14 septembre 1812, les flammes ravagent soudainement la ville. La cause de cet incendie n’a jamais fait l’unanimité chez les historiens. Quel est votre avis sur la question, qui des Russes ou des Français sont responsables de cet incendie, qui marqua profondément l’imaginaire de cette guerre ?

Gd G. de Russie : Le comte Léon Tolstoï, que vous avez mentionné, écrit dans Guerre et paix que, dans les conditions de cette fulgurante avancée, Moscou devait être incendiée. Rien de plus facile quand on sait qu’il y avait à cette époque beaucoup de maisons en bois dans la ville. Avec une ville désertée de ses habitants, les soldats de Napoléon y sont entrés facilement et ont commencé à piller la ville. Souffrant du froid, ils ont allumé des feux sans respecter la moindre mesure de sécurité. L’incendie était inévitable. Alors maintenant, qui l'a démarré le premier? Les Français ou les Russes ? Au final, il importe peu de le savoir puisque toutes les conditions étaient réunies pour que la ville s’embrase quoi qu’il en soit. L'essentiel de cette histoire n'est pas vraiment l'incendie, qui reste une conséquence inévitable des décisions antérieurement prises ; mais bien de se souvenir que si Moscou a été abandonnée, elle n'a pas été soumise. La plupart de ses habitants ont peut-être choisi de laisser derrière eux leur patrimoine familial, tout ce qu’ils avaient bâti, mais n’auraient jamais toléré de devoir vivre sous une force d’occupation. Et je crois que c’est bien ce qui a surpris Napoléon Bonaparte.

Frédéric de Natal : Napoléon doit finalement évacuer Moscou. C’est de début de la retraite de Russie, laquelle est évoquée dans la première partie du poème « L'Expiation » de Victor Hugo : « Il neigeait. On était vaincu par sa conquête. Pour la première fois l'aigle baissait la tête. Sombres jours ! L'empereur revenait lentement, Laissant derrière lui brûler Moscou fumant. Il neigeait...» écrit le poète. L’hiver russe est un des éléments déclencheurs qui précipite la fin de la Campagne de Russie. Le temps peut-il expliquer à lui seul ce désastre pour Napoléon, sa première grande défaite qui sonne un peu comme le début de la fin de son empire ?

P. J. Murat : On a beaucoup dit que le « général hiver » a battu les troupes impériales. Il est plus juste d’admettre que les combattants russes sont d’une valeur exceptionnelle et que la stratégie adoptée par leur commandement fut très efficace. Nous ne sommes pas parvenus à les arrêter à temps, nous avons dû les poursuivre sans jamais parvenir à obtenir une victoire décisive. Sur la route du retour, notre défaite à Maloiaroslavets nous a forcés à reprendre le même chemin que celui emprunté à l’aller. C’est-à-dire un retour à travers des champs de ruines déjà dévastés et vidés de toute ressource. C’est le début de l’épouvantable retraite de Russie et le commencement de la fin pour l’Empire.

Lire aussi : Sélectron des plus belles batailles napoléonniennes

Frédéric de Natal : Dans cette guerre, il y a certes le maréchal Murat et bien d’autres généraux, maréchaux illustres mais il y a aussi le maréchal Mikhaïl Koutouzov qui fut l’un des plus brillants officiers du Tsar. Est-il selon vous le véritable héros de cette campagne, quel a été son rôle et se souvient-on encore aujourd’hui de sa mémoire ?

Gd G. de Russie : Oui, Mikhail Koutouzov est l'un des principaux héros nationaux de la Russie. Il comprenait profondément la mentalité de notre peuple, comprenait l'âme des soldats. Et son souvenir reste encore aujourd’hui très cher à tous les Russes. Bien que, bien sûr, nous n’oublions pas d’autres officiers tout aussi courageux et talentueux que lui comme les princes Barclay de Tolly ou Bagration, le comte Tormasov ou encore les généraux Raevsky, Tuchkov et bien d'autres. L'empereur Alexandre Ier n'était pas un grand commandant et il l'a reconnu lui-même. Mais son rôle dans la victoire reste aussi important. Il a correctement évalué le cours de la guerre et a placé à la tête de l'armée ceux qui ont assuré la victoire.

Frédéric de Natal : Le mot « Bérézina » est devenu une expression de la langue française qui, malgré tout, va contribuer à renforcer la légende napoléonienne. Pouvez-vous nous expliquer en quelques mots ce qu’il a signifié pour la Grande armée ? D’ailleurs, quel fut le comportement de Murat durant cette retraite ?

P. J. Murat : La Bérézina est indiscutablement une victoire française. Le sacrifice du Général Eblé et de ses hommes pour permettre aux soldats de passer le fleuve est un des moments les plus héroïques de l’Histoire militaire française. Si elle reste dans l’inconscient collectif comme synonyme de catastrophe c’est précisément parce que cette victoire a été arrachée au prix d’immenses sacrifices. La retraite est un désastre parce qu’elle a été entamée dans la précipitation avec des soldats éparpillés sur de très grandes distances. Napoléon a enchainé les décisions hasardeuses et embarqué ses armées dans une tragédie pour finalement la quitter après le franchissement de la Bérézina, en laissant Murat et les soldats dans une situation impossible. Napoléon, ou plutôt Las Cases, reproche d’ailleurs à Murat dans le « Mémorial de Sainte Hélène » le désastre de la retraite de Russie. C’est évidemment un mensonge historique éhonté comme l’a démontré le professeur Jean Tulard. Si c’était Murat qui, avec Davout, avait pris en main la poursuite initiale des armées russes, toute cette tragédie aurait sans doute été évitée.

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Âmes perdues : notre critique

Âmes Perdues, sorti en 1977, fait figure d’apothéose dans la carrière déjà profuse de Dino Risi et résonne comme le chant du cygne d’une ville, Venise, comme d’un certain cinéma italien à la fois aristocratique et baroque. Dans une Venise déserte qui flirte avec les ambiances fantastiques du Don’t Look Now de Nicolas Roeg, Risi s’attache aux pas d’un jeune artiste peintre qui vient apprendre son métier dans la cité des Doges, hébergé par sa tante (Catherine Deneuve, hiératique) dans un hôtel rafistolé aux allures de palais gothique. [...]  

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Les critiques littéraires de février 1/2

VIRTUOSE ET COSMOPOLITE 

Cancion d’Eduardo Halfon, traduit de l’espagnol par David Fauquemberg, Quai Voltaire, 170 p. — 15 €

Au début, on pense à une autofiction sur l’absurdité de la vie littéraire : Eduardo Halfon, écrivain guatémaltèque, est invité au Japon dans un colloque d’écrivains libanais. Il est vrai que son grand père était syrien, mais il y a des limites à l’assimilation… Très vite cependant, ce récit dévoile son vrai sujet : une enquête historico-policière sur les années 1960-1970 au Guatemala, ère de guerre civile et de dictature militaire, durant laquelle le fameux grand-père fut enlevé par des guérilleros gauchistes aux motivations mal déterminées, dont l’un s’appelait Canción. Le va-et-vient entre les micro-aventures d’Eduardo Halfon dans son colloque japonais et l’époque de la dictature désamorce la pesanteur du sujet, tout en conférant son originalité et son côté décalé à ce petit livre virtuose. C est aussi, par la bande, un livre sur l’identité, ou plutôt sur les déguisements, comme l’indique comiquement l’incipit, le plus joli de la saison : « J’arrivai à Tokyo déguisé en Arabe ». Bernard Quiriny [...]

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Hommages à Pierre-Guillaume de Roux

À TOUT DE SUITE PIERRE-GUILLAUME

Quand on raccrochait d’une conversation avec Pierre-Guillaume, il concluait par un curieux : « À tout de suite ». La première fois, j’ai cru qu’il allait me rejoindre quelque part, que j’avais mal compris… En y repensant, cet « À tout de suite » fait écho à l’ « Immédiatement » de ce père qu’il aimait tant, Dominique de Roux. Ce père dont il avait la photo dans son fameux bureau rue de Richelieu, où il ne pouvait même plus s’installer tant il y avait de livres et de manuscrits… Pierre-Guillaume, comme son père, un preux de l’édition, sans peur et sans reproche, mettait la littérature au-dessus des idéologies. Ce pourquoi le portrait que lui avait consacré Le Monde l’avait tant peiné : il était prêt à débattre avec n’importe qui, mais pas avec les valets de pieds de la propagande. Pierre-Guillaume vivait sans interruption, parmi les écrivains qu’il admirait, morts ou vifs, dans ce temps jamais perdu des livres. Il était toujours avec nous ; il est toujours avec nous. Son regard malicieux perché tout en haut de son corps de paladin ne nous quitte pas. À tout de suite Pierre-Guillaume !

Bertrand Lacarelle

EN SOUVENIR DE PIERRE-GUILLAUME DE ROUX

J’ai connu Pierre-Guillaume comme camarade d’édition au Rocher du temps du regretté Jean-Paul Bertrand, au début des années 2000, quand nous venions de publier dans la collection Anatolia le scandaleux Nicolas Gomez Davila, qu’il défendit aussitôt avec passion. Notre ami commun, l’éditeur Vladimir Dimitrijevic, sur son lit d’hôpital après un accident de la route, m’avait mis en garde : « Attention, ça ne va par leur plaire. » À qui donc se rapporte ce « leur » ? lui avais-je demandé. « À personne, me répondit-il. C’est bien ça le pire ». Aussi publiai-je le catholique colombien avec un plaisir redoublé. Le seul article enthousiaste sur le livre – dont je regrette aujourd’hui le titre un peu facile – Les Horreurs de la démocratie (Misère de la démocratie eût été plus juste), parut dans l’imprévisible Libération. Je revis Pierre-Guillaume à l’enterrement du cher Dimitri, qui était son parrain dans la foi orthodoxe, il y a dix ans, et il avait avec lui quelques exemplaires du livre que nous avions publié en hommage aux 40 ans des éditions de L’Âge d’homme, Les Caves du Métropole, qu’il distribuait aux amis venus aux funérailles de Gazda – « le patron » –, qu’un deuxième accident de la route n’épargna pas, cette fois. On a pu dire que Pierre-Guillaume s’était fourvoyé dans les dernières années de sa vie. Se raccrocher à la politique n’avait aucun sens quand on aimait profondément la littérature comme il le faisait. Les paroles du père Simon, prêtre-aumonier à l’Université de Vienne, ont valeur d’homélie : « Nous devons accepter humblement d’être athées en politique et garder toute notre foi pour le Très-Haut ». Pierre-Guillaume était un être discret et doux, un lecteur raffiné, amoureux des belles choses et trop pur pour s’embringuer dans la foire politique. Ses bravades, ses compromis, qui n’obéissaient qu’au souci de la survie éditoriale, appartiennent au monde terrestre. Sa foi au monde céleste. Requiescat in pace.

Samuel Brussell [...]

Rue des Beaux-Arts : Giorda fait crier les couleurs

Mais quand on a beaucoup peint, le sujet parvient presque à s’effacer derrière le mystère du geste : avec les bouquets d'un seul type de fleurs, Giorda dit avoir l’impression de faire un portrait. Il explique que les couleurs recèlent un mystère, qu’elles sortent de la terre, de la nuit. Le peintre les ferait jaillir depuis une obscurité qui ne parvient plus à les retenir, commençant ses tableaux par une couche noire sur laquelle il appose formes et couleurs avant même qu’elle ne sèche. Les couleurs naissent ainsi parmi la salissure, émergent de la grisaille et finissent par crier. Rien ne peut se taire chez Giorda, même les fleurs. On n’a pas le choix, il y a le feu, urgence, on ne peut exister que dans un cri.

Lire aussi : Rue des Beaux-Arts : Duel avec la matière [...]

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