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« La beauté sera convulsive ou ne sera pas », disait André Breton au début du siècle d’avant, et c’est une définition plus classique, plus absolue, je veux dire, plus éternelle, que ce qu’on pourrait croire. Nos cathédrales étaient convulsives, obscures, illuminées, flamboyantes. Elles disaient que nous étions tout et que nous n’étions rien devant Dieu. Elles disaient vrai. Et depuis, l’art dit « classique », c’est-à-dire néo- païen, raisonnable et réducteur, un peu bourgeois un peu chiant, est devenu une norme qui a rassuré les tièdes.
On s’est révolté à juste titre contre l’art décoratif, contre l’art d’agrément, contre l’art de divertissement, nous ne sommes pas sur terre pour « passer un moment cool » mais pour nous transfigurer. L’ennui des conservateurs, c’est que s’ils comprennent qu’il y a du sacré, des choses avec lesquelles il ne faut pas transiger, ils oublient parfois que nous n’avons pas pour vocation de nous préserver mais au contraire qu’il s’agit de tout jeter au feu ; au feu de la beauté, de l’amour divin, de la vérité suprême, et que c’est cette faculté à brûler qu’il est essentiel de sauver, pas forcément les conditions qui hier rendirent l’air combustible.…
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Certains films se présentent tout armés, comme Athéna sortant de la tête de Zeus, lisses, impénétrables, presque incritiquables. Saint Omer est de ceux-là, qui retrace le procès d’un infanticide, celui d’Adélaïde, 15 mois, livrée par Fabienne Kabou, sa mère, à la montée des eaux en novembre 2013 sur la plage de Berck. Son procès qu’Alice Diop relate frontalement et dans le détail semble d’abord une plongée dans les profondeurs, tant l’accusée est fuyante et froide (Guslagie Malanda, parfaite), mais le biais choisi par cette documentariste pour sa première fiction, s’il explique partiellement la réception dithyrambique du film (deux Lions à Venise, le prix Jean Vigo, bientôt un Oscar ?), en pose aussi les limites.
Rama, une romancière enceinte, sénégalaise comme l’accusée, et aux rapports tout aussi distants avec sa mère, va suivre les audiences pour nourrir un livre, selon la fameuse jurisprudence Carrère (L’Adversaire sur l’affaire Romand, où Tintin chroniqueur judiciaire craignait la contagion mimétique et de zigouiller sa progéniture, brrr). Ce relais du spectateur permet à Diop de rabattre le monstrueux sur le quotidien, l’anodin, le (presque) ressenti par toutes. Et pour ce faire, elle dispose d’une arme secrète : l’intersectionnalité qui victimise Kabou – nommée Coly dans le film – selon la race (une Africaine seule en France), le sexe et l’âge (elle est en couple avec un sculpteur de 30 ans son aîné qui l’invisibilise), la classe (désocialisation d’une étudiante en échec), l’histoire familiale (froideur de la mère, rejet par le père). Les éléments à charge sont systématiquement ignorés – le mot « préméditation » n’est jamais prononcé – ou minorés : la discussion sur l’aspect culturel du meurtre et les allégations de Coly se déclarant maraboutée est recouverte par une polyphonie narquoise de chœurs féminins qui affiche clairement « Cause toujours … ». Une saillie post-coloniale d’une ancienne professeur fait tressaillir la salle et choir l’accusée sur sa chaise : le racisme, c’est l’horreur ; pas l’infanticide qui a ses raisons… [...]
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CROISADE POP
BLUE REV, ALVVAYS, Transgressive Records Ltd., 14,99 €
Il y a des albums associés pour l’éternité à une période de notre vie. Pendant des semaines de l’année 2017, j’écoutais Antisocialites d’Alvvays. Ce groupe qui se situait quelque part entre The Smiths et Teenage Fan Club avait tout pour me plaire : obsession mélodique, guitares éthérées, tourbillon réverbéré, voix angélique. Dix secondes d’un de leurs titres et vous savez chez qui vous êtes. Cinq années ont passé et le monde ne s’est pas vraiment embelli, malgré ça. En revanche, Alvvays, eux, continuent leur croisade pop avec vaillance et élégance sans jamais décevoir. Blue Rev, leur nouvel album, pousse plus loin leurs sonorités familières et leur approche de la production a quelque chose de plus puissant, de plus tempétueux, de plus sonique. On pense aux Raveonnettes qui dans les années 2010 enchantaient notre jeunesse, mais avec une singularité en plus, quelque chose de moins pasticheur, de plus inoubliable. Dans ce voyage, on croisera les ombres admirées de Johnny Marr, de Tom Verlaine et de Phil Spector, ce qui n’est pas pour nous déplaire. Et surtout, on passe un peu moins de 40 minutes avec l’un des groupes les plus importants de sa génération.
MEA CULPA
BEING FUNNY IN A FOREIGN LANGUAGE, THE 1975, Dirty Hit, 15,99 €
Parfois les grandes rencontres démarrent par un rendez-vous raté. Regardez, même Aurélien, la première fois qu’il vit Bérénice, il la trouva franchement laide. On entre dans un appartement ou dans un bar et l’autre nous semble une promesse de déception. Il en a été ainsi lorsque j’ai découvert The 1975. Tout, chez eux, m’horripilait : ce côté boys band indie, ce maniérisme en plastique, leurs airs de groupe pour jeunes filles. Pourtant, il me fallait bien l’avouer, je retournais vers eux malgré tout. Il devait bien y avoir quelque chose. Ils comprenaient leur époque, ils en étaient l’écho conscient – pour le pire et le meilleur. Leur musique parlait des Xanax dominicaux, des collections de café des hipsters, de Facebook, du narcissisme contemporain. Si Léon Daudet disait merde à la patrie quand il s’agissait de littérature, alors je n’allais pas m’interdire de tomber sous le charme d’un groupe pour des raisons idéologiques. Avec Being funny in a foreign language, The 1975 revient avec, si ce n’est leur meilleur album, le plus directement efficace. Et il me faut avouer que mon mea culpa a du bon. [...]
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L’Incorrect numéro 75
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