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David Lisnard : « La finalité de tout, c’est la dignité humaine »

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Publié le

7 juin 2022

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Le maire LR de Cannes et président de l’Association des maires de France est la valeur qui monte à droite. Malgré la tempête et la défaite de la candidate de son camp au premier tour de la présidentielle, l’homme garde un calme olympien qui tranche avec les ambitions brouillonnes de ses congénères politiques. Entretien sans langue de bois.
Lisnard

On reproche à nos gouvernants ou bien d’être élitistes et coupés du peuple, ou bien de le flatter de manière populiste. À quelle juste distance doit se tenir le maire que vous êtes ?

On sait depuis les Grecs que la fragilité de la démocratie, c’est la démagogie. Une démocratie ne peut fonctionner qu’avec des élites et celles-ci doivent être méritocratiques, mais aussi par une praxis. Pour ma part, j’ai toujours considéré que vivre, c’est servir. Le peuple est à la fois une somme de personnes et une entité dotée d’une âme. Ce qui permet de faire de grandes choses.

Mais le problème, ce sont les effets de meute. Ils ont toujours existé – la Révolution française comme les années 1930 en sont des exemples – mais ils ont été démultipliés par l’arrivée des réseaux sociaux. Un poète a dit une phrase que j’aime beaucoup: « Je n’ai jamais hué personne. » Avec internet, c’est peu dire que nombreux sont ceux qui passent leur temps à huer. On ne démonte plus l’argument de l’adversaire, on dénigre celui qui le porte. C’est dû au laisser-aller civique, aussi à la propagation de l’idéologie de la « cancel culture wokiste » – si vous êtes blanc et que vous avez plus de 50 ans, tout ce que vous dites est a priori suspect –, mais c’est surtout dû au fait que la vacuité favorise l’excès. On peut même dire que la radicalité est proportionnelle à la vacuité.

À cet égard, ceux qui sont ou ont été en charge de l’Éducation nationale portent une très lourde responsabilité. Au lieu d’apprendre à nos enfants à coder l’informatique, il faut leur apprendre à décoder le monde.

« S’il n’y a pas de différence de nature entre les civilisations, alors l’anthropophagie a la même valeur que l’humanisme »

David Lisnard 

Comment ?

Par la philosophie et ce qu’on appelait naguère les humanités. Je vais vous donner un exemple de ce qu’il est possible de faire. Lorsque Najat Vallaud-Belkacem, alors ministre de l’Éducation nationale, a tenté, en 2015, de supprimer du collège le latin et le grec, à Cannes, nous avons voulu la contrer et faire en sorte que tous les enfants de la ville aient accès à la culture classique et développent leur raison critique.

D’une part, nous avons trouvé les professeurs de latin et de grec pour proposer ces deux disciplines sur le temps périscolaire, et cela dès la maternelle ; avec un côté ludique, les enfants découvrent l’étymologie mais aussi les grands principes de notre droit et tout ce qui constitue les fondements de notre civilisation. D’autre part, nous avons instauré « Phil à l’école ! » de la maternelle jusqu’au CM2, tel un « café philo » pour enfants qui permet d’aborder les sujets philosophiques mais aussi, et peut-être surtout, d’apprendre à écouter l’autre exposer son point de vue sans le huer…

Et ça fonctionne ?

Très bien. Y compris, pour anticiper votre question, auprès des populations issues de l’immigration car c’est une évidence : elles aussi veulent que leurs enfants réussissent !

L’« évidence », pour une large partie de la gauche – et de la droite aussi – c’est que notre civilisation ne les intéresse guère…

Et que tout se vaut, je sais ! Il n’y aurait pas de valeur supérieure, pas de civilisation supérieure. Mais si tout se vaut, rien ne vaut. Relativisme et nihilisme qui en découle ont fait des ravages. Comme le faisait remarquer Claude Lévi- Strauss, s’il n’y a pas de différence de nature entre les civilisations, alors l’anthropophagie a la même valeur que l’humanisme.

Notre dénominateur commun, c’est notre civilisation. Qu’on soit de sang breton ou fils d’un immigré du Cap-Vert, comme Français nous sommes les dépositaires d’une histoire millénaire. C’est le rôle de la France de faire en sorte que chacun, quel qu’il soit, comprenne que nous sommes le fruit d’un mélange de logique aristotélicienne, de droit romain, de culture judéo-chrétienne et d’esprit des Lumières. Ce n’est pas rien, tout de même !

Quelle est, selon vous, la finalité de l’action politique ?

La finalité de tout, c’est la dignité humaine. Et en démocratie d’avoir le choix de nos dirigeants et des politiques menées. C’est pourquoi je crois que les notions de droite et de gauche restent pertinentes, parce que, à cet égard, les grilles de lecture ne sont pas les mêmes. Il me paraît éminemment souhaitable que ces blocs continuent à s’affronter parce que sinon, on se retrouve dans la situation que l’on connaît aujourd’hui : un no man’s land qui fait le jeu des extrêmes, et, singulièrement, de l’extrême gauche que l’on n’a pas vu venir.

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Vous pensez à ce qu’on appelle le «wokisme»?

Le wokisme est en train de prendre une ampleur invraisemblable à gauche. Au point que la gauche semble ne plus avoir le choix qu’entre devenir wokiste ou disparaître. Beaucoup de gens de gauche, attachés à l’universalisme républicain et à la laïcité, viennent vers moi en raison de l’évolution racialiste de ce qui avait toujours été leur camp.

Considérez-vous qu’un autre marqueur entre droite et gauche est la conception de l’on se fait du rôle de l’État ?

Sur le plan de l’histoire des idées politiques, oui, sans conteste ; dans le spectre politique actuel, en revanche, on n’a plus que des nuances d’étatisme et c’est cet étatisme qui crée une large part des problèmes du pays.

La crise civique fait que le citoyen est de plus en plus consommateur d’État. Il est donc de plus en plus capricieux car plus on attend de l’État, moins on est satisfait. Entendons-nous bien : je suis très attaché à l’État, et je partage la conception qu’exposait Paul Valéry dans Regards sur le monde actuel : « Si l’État est fort, il nous écrase. S’il est faible, nous périssons ». On a besoin d’État mais aujourd’hui, sous couvert de protection matérielle des individus par l’État, on est en train de sacrifier l’avenir pour un présent électoral.

La dialectique est entre étatisme et responsabilité. Je ne pense pas que l’alpha et l’oméga du développement de la France, de la préservation des libertés des individus, ni de celle de son identité soient un État toujours plus gros. L’étatisme est, avec l’égalitarisme, l’un des fléaux de la France. Un étatisme qui va d’ailleurs de pair avec l’hyper- présidentialisme de l’actuel chef de l’État, c’est-à-dire sa propension à tout régenter. Or la mission du chef de l’État est, si vous me permettez cette expression, de « cheffer » l’État, pas de « cheffer » la société.

« Nous devons être, nous, la droite, le mouvement de ceux qui veulent choisir leur destin »

David Lisnard

En tant que maire, éprouvez- vous cet étatisme, et, de façon plus générale, quel regard portez-vous sur la décentralisation ?

Les lois Defferre de 1982-1983 avaient produit des effets très positifs, qui ont été battus en brèche au fil des décennies, jusqu’à ce que l’État reprenne à peu près toutes les libertés qu’il avait consenti à octroyer aux collectivités. Il procède à une recentralisation permanente tandis que la bureaucratie ne cesse de s’accroître. L’État a même tué la responsabilité fiscale des communes, ce qui a été une manière, brutale, d’imposer sa tutelle. Laquelle est renforcée par la codification de tous les domaines. Quand vous ne pouvez plus rien décider sans devoir en passer par le bon vouloir de multiples strates administratives et d’appels à projets où même un ministre de la Fonction publique n’y retrouverait pas ses petits, vous n’avez plus aucun pouvoir et le pays est paralysé.

Vous n’exagérez pas ?

J’en fait l’expérience avec une unité de traitement des déchets que je veux installer à Cannes. Tout le monde est d’accord, mais il faut que ce soit inscrit préalablement au « Sraddet », le Schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires, lequel doit prendre en compte les « SCoT », les Schémas de cohérence et d’organisation territoriale, qui eux-mêmes doivent s’inscrire dans la « DTA », la Directive territoriale d’aménagement, et j’en oublie ! Tout cela est long, cher, et nourrit l’impuissance politique. Pour le moment, le projet n’est toujours pas inscrit au Sraddet, et je ne peux donc rien engager.

La France détient le record du monde de la dépense publique, le co-record du monde des prélèvements obligatoires, sa bureaucratie est pléthorique, et je n’ai pas du tout l’impression que les résultats des services publics soient meilleurs que ceux de la Suède ou de l’Allemagne, pour prendre deux modèles d’organisation territoriale très différents puisque l’un est un État centralisé, l’autre un État fédéral.

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En France, et de plus en plus, on veut tout schématiser et il faut que toutes les initiatives, tous les projets s’inscrivent dans les schémas préétablis. Mais la vie, ce n’est pas ça ! La vie, c’est la liberté et la subsidiarité. Si je devais résumer mon engagement politique à un mot, je crois que ce serait celui-là, qui découle de la liberté et de la subsidiarité : indépendant.

Je crois à l’indépendance des communes, à l’indépendance de la France, à l’indépendance des personnes. Donc à la responsabilité. Nous devons être, nous, la droite, le mouvement de ceux qui veulent choisir leur destin.

Et vous, vous avez choisi le vôtre ?

[Rires] Si vous demandez à mes anciens camarades de lycée, qui sont restés des amis, ils vous raconteront que lorsque nous étions en seconde, je leur disais : « Je veux être maire de Cannes », et je faisais des sondages dans la classe. Ça les faisait beaucoup rire. Cela étant, si j’ai été élu conseiller municipal et suis devenu adjoint au maire assez jeune – j’avais 32 ans – il m’a quand même fallu surmonter une sorte de « complexe d’illégitimité ». Je me disais : mais qui suis-je pour vouloir intégrer le monde politique ? Mon père, footballeur professionnel, et ma mère, danseuse étoile, s’étaient reconvertis comme commerçants ; moi-même, bien qu’ayant réussi à être diplômé de l’IEP de Bordeaux, je n’étais pas énarque et j’avais repris le commerce familial après avoir exercé divers « petits métiers », comme on dit, pour financer mes études, puis travaillé en entreprise avec aussi un bref passage en collectivité.

Je ne me voyais pas armé, ni socialement autorisé, à intégrer un monde politique, qui, quoi qu’on pense d’eux, était dominé, de Georges Pompidou à Raymond Barre ou Valéry Giscard d’Estaing, pour ne citer qu’eux, par des personnalités de très haut niveau intellectuel et que j’admirais. Avec le temps, je me suis décomplexé. Et puis, peut-être le niveau a-t-il baissé ? Vous savez ce que c’est : « Quand on se regarde, on se désole ; quand on se compare, on se console » [rires].

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