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Kristian Niemietz : ces régimes sans fin

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Publié le

18 avril 2019

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Stalinisme, maoïsme, castrisme, hoxhaïsme… Kristian Niemietz constate la faillite du socialisme mis en pratique dans une cinquantaine de pays, sous toutes les latitudes, qui conduisit invariablement à la catastrophe. Malgré la brutalité des régimes, les millions de morts, les famines et fiascos économiques, la foi dans le socialisme demeure.

 

L’utopie marxiste n’a rien perdu de son lustre. L’économiste Niemietz nous explique pourquoi dans « Socialisme, la mauvaise idée qui ne meurt jamais » (Socialism: The Failed Idea That Never Dies). Dans cet essai percutant, il rappelle aussi les déclarations des politiciens, journalistes, universitaires, nos humanistes occidentaux qui s’enthousiasment pour les dictateurs.

 

Lire aussi : L’éditorial de Jacques de Guillebon : Sous la cendre

 

Pourquoi vous être penché sur ce sujet et pourquoi maintenant ?

 

Le socialisme revient en force. Il y a dix ans, l’anti-capitalisme était déjà une idée répandue mais on parlait de réformer le système, pas de le supprimer. Les choses changent. Au Royaume-Uni, des médias d’extrême gauche comme The Canary, Evolve Politics, Novara media suscitent un culte sur internet. La gauche domine les réseaux sociaux. Les vieilles idées de gauche radicale inondent aussi l’Amérique – voyez Bernie Sanders, Alexandra OcasioCortez, le magazine The Jacobin. Le New York Times publie désormais des articles qui font l’apologie du socialisme. Pour faire court, le socialisme est à la mode, sous la forme d’une théorie utopique déniant toute confrontation avec la réalité.

 

Vous avez modélisé le cheminement intellectuel des thuriféraires des régimes socialistes depuis les années 30. L’argumentaire type tient en trois étapes.

 

Ces régimes rencontrent toujours quelque succès à leurs débuts. Les intellectuels de gauche louent alors les vertus d’un monde nouveau. C’est la phase 1, la lune de miel. Mais les succès initiaux ne durent pas. Quand l’économie s’effondre, vient la phase 2, celle des excuses et des « oui mais », qui consiste à dédouaner le système. On attribue les désastres aux ennemis intérieurs ou extérieurs. Le régime n’est pas en cause, c’est l’embargo américain, la chute des prix du pétrole etc. On relativise.

 

© Jeanne de Guillebon pour L’Incorrect

 

Dans le cas de Cuba, on vous dira : Castro, c’est toujours mieux que Batista, façon de détourner l’attention des failles du système en le comparant au pire régime possible. Arrive un moment où ces prétextes ne tiennent plus. L’échec est patent. Alors les Occidentaux observent une période de silence qui les mène à la phase 3 intitulée « ça n’a rien à voir avec le socialisme ». Le reniement devient alors le discours officiel. On vous explique que vous n’avez rien compris, que le régime qui est en train de brimer sa population n’a en fait jamais été socialiste. Et voilà comment l’idée ne meurt jamais, on change l’emballage et on repart.

 

L’échec d’un régime relance même l’enthousiasme pour l’expérience suivante.

 

La faillite du stalinisme a nourri la mao-manie. Dans les années 60, après la rupture sino-soviétique, on regarde vers Cuba, le Nord-Vietnam et la Chine. Après la scission sino-albanaise, le socialisme chinois est discrédité. L’Albanie et le Cambodge prennent le relais. Le régime khmer rouge est présenté comme un socialisme agraire et pittoresque, une aventure idyllique, un nouvel espoir. Plus près de nous, le chavisme s’est d’emblée déclaré « socialisme du XXIe siècle », se lavant ainsi des avanies du passé. Chaque expérience est inédite et noble, les adeptes se contentant de sauter d’une utopie à l’autre sans tirer aucun enseignement des cataclysmes qu’ils ont sous les yeux. C’est un moyen commode de ne jamais avoir tort.

 

Vous citez d’éminents intellectuels. Leur soutien aux régimes sanguinaires a-t-il nui à leur carrière ?

 

Je cite des personnalités de premier plan. Noam Chomsky a fait l’éloge des Khmers rouges (qui ont exterminé 20 % de la population cambodgienne) et s’attachait à discréditer toute publication anti-Pol Pot. Chomsky est aujourd’hui encore une rock star intellectuelle tandis que ceux qui à l’époque dénonçaient les exécutions de masse sont largement oubliés. Je cite aussi Sydney et Beatrice Webb, universitaires, fondateurs du journal The New Statesman et de la Fabian Society, co-fondateurs de la London School of Economics (LSE) et fervents soutiens du régime soviétique (20 millions de morts) tout comme Julian Huxley, président de l’Association Britannique Humaniste et premier directeur de l’Unesco.

 

Lire aussi : Le paradigme progressiste

 

Je cite Peter Townsend, éminent sociologue anglais à l’origine de l’approche relativiste de la pauvreté. Il fut aussi maoïste que Sartre et, comme lui, vénéré jusqu’à sa mort. Il y a un cas à part: l’universitaire marxiste écossais Malcolm Caldwell. Fervent admirateur de Pol Pot, il niait l’ampleur des massacres jusqu’à ce qu’il en soit lui-même victime. En 1978, lors d’un pèlerinage au Cambodge, il est reçu par Pol Pot qui le fera exécuter dans la nuit.

 

Vous affirmez que le capitalisme améliore le sort des plus démunis. Ça n’est pas ce qu’on entend d’habitude.

 

Il y a 40 ans, près de la moitié de l’humanité vivait dans une extrême pauvreté (selon la définition de la Banque Mondiale) ; aujourd’hui seulement un dixième de la population. C’est un progrès sans précédent dans l’histoire de l’humanité. L’espérance de vie n’a jamais été aussi élevée, le taux de mortalité infantile aussi bas, le taux d’alphabétisation aussi haut. L’émergence du capitalisme avec la révolution industrielle a tout changé. Les progrès se sont ensuite propagés dans le monde entier.

Il existe un index de la liberté économique sur une échelle de 0 à 10. Proche de 0, vous avez la Corée du Nord. Il n’y a pas d’exemple proche de 10 mais vous avez des pays situés à 8 comme Singapour ou la Suisse. Cet index de liberté économique est positivement corrélé avec des indicateurs de revenu moyen, revenu minimum, alphabétisation, espérance de vie. Tous ces indicateurs progressent avec la liberté économique.

 

Pourtant l’anti-capitalisme se porte bien. Une « opinion par défaut », selon vous. C’est-à-dire ?

 

Lorsqu’on n’a pas d’avis, on est naturellement anti-capitaliste. Pas besoin de lire Marx ou Trotsky, tout le monde est enclin à embrasser des idées de partage, de solidarité généralement associées au socialisme. Par contre, pour comprendre pourquoi une économie de marché améliore le niveau de vie, comment un entrepreneur, en poursuivant ses intérêts personnels, peut contribuer au bien commun, il faut feuilleter quelques livres.

 

« Pour comprendre pourquoi une économie de marché améliore le niveau de vie, comment un entrepreneur, en poursuivant ses intérêts personnels, peut contribuer au bien commun, il faut feuilleter quelques livres. »

Kristian Niemietz

 

Les librairies regorgent de best-sellers anti-capitalistes. Thomas Piketty, pour prendre un exemple français. Les anti-capitalistes lisent, et beaucoup.

 

Quand je qualifie l’anti-capitalisme d’opinion par défaut, je ne dis pas que ses tenants sont passifs. Vous optez pour le socialisme, c’est valorisant. Ensuite, vous cherchez des textes qui confirment votre a priori. On se dit « tiens, ces auteurs, ces gens intelligents sont d’accord avec moi ». Les best-sellers anti-capitalistes ne fonctionnent pas autrement: « Lisez ce livre, je vais confirmer tout ce que vous pensez ». Je mettrais Piketty à part, c’est un économiste sérieux, de même Joseph Stiglitz ou Paul Krugman. Leurs livres sont presque néo-libéraux comparés aux essais de Naomi Klein, Noam Chomsky ou Owen Jones qui fabriquent des produits anti-capitalistes très tendance bien formatés. Ces livres-là ne sont pas seulement lus, on les montre volontiers comme certificats de vertu.

 

Qu’est-ce que « l’irrationalité rationnelle »?

L’économiste Bryan Caplan montre que de nombreux credo en économie, même invalidés par des chercheurs de tous bords, demeurent populaires. Exemple : le protectionnisme ou le contrôle des loyers sont des politiques notoirement inefficaces qui continuent d’avoir les faveurs du grand public. Il m’a semblé que la théorie de Caplan s’appliquait parfaitement au socialisme pour expliquer la robustesse de cette idée. Selon Caplan le fait de soutenir une idée fausse peut procéder d’une démarche rationnelle dans la mesure où cette idée est une source de fierté, presque une identité pour celui qui la défend.

 

« L’urgence climatique » est-elle une nouvelle arme anti-capitaliste ?

 

Elle est certainement utilisée ainsi. Naomi Klein qui ne s’était jamais occupée d’écologie a vu là un nouveau bâton pour taper sur le capitalisme. Absurde. Le capitalisme se soucie d’écologie (voir la taxe carbone) et rien ne dit que le socialisme s’y prendrait mieux. Le bilan écologique de l’Europe de l’Est est catastrophique. Mais l’anti-capitalisme étant intuitif et émotionnel, les angles d’attaque se renouvellent sans arrêt. Qu’importe la rationalité des arguments, ce qui compte c’est la condamnation du capitalisme.

 

Lire aussi : Débat : Laurent Dandrieu, Pierre Jova : 2 Chrétiens, 1 Europe, et 1.2 milliard d’Africains

 

Les marxistes vieille école accusaient le capitalisme d’appauvrir les classes laborieuses. Avec le boom économique d’après-guerre, cet argument tombe. Le capitalisme devient responsable du consumérisme et de l’élaboration d’une société sans âme. Puis dans les années 1990-2000, on s’est élevé contre la mondialisation. L’Occident esclavagisait le tiers-monde pour pouvoir se payer des baskets moins cher. Le groupe français Attac s’est fait entendre. Mais ces pays sont devenus des marchés émergents. Le mouvement anti-globalisation a perdu de son influence. L’écologie est devenue idéologique.

 

Les socialistes sont forts en communication. Pourquoi les capitalistes sont-ils si mauvais ?

 

Si seulement je connaissais la réponse ! Le fait de défendre des idées contre-intuitives ne facilite pas la tâche. Nous avons à notre disposition des faits et des statistiques, pour combattre des utopies. Nous parlons à la raison, pas au cœur et ça ne changera pas. Il faut décrire la réalité sans relâche. Certains s’y sont attelés, comme le suédois Hans Rosling qui a illustré le lien entre développement économique et amélioration des conditions de vie, grâce à des présentations brillantes, conférences, vidéos etc (NDLR: Hans Rosling, auteur avec son fils et sa belle-fille du bestseller Factfulness, a créé la fondation Gapminder qui propose une approche pédagogique des statistiques reflétant l’état du monde).

 

Che Guevara demeure une icône. Le capitalisme n’a pas de figures héroïques.

 

Et c’est tant mieux. L’économie de marché n’est pas conduite par une poignée de super-héros. Elle procède de l’interaction de millions d’anonymes. La romancière Ayn Rand est la seule personne à avoir exploré ce terrain-là, en écrivant des histoires avec des héros capitalistes. Une drôle d’idée à mon sens…

 

 

Dans l’épilogue de votre livre, vous imaginez ce qui se serait passé si l’Allemagne ne s’était pas réunifiée après la chute du mur et que la RDA avait subsisté en un régime au nouveau souffle socialiste et démocratique. Vous pastichez les articles qui seraient parus dans le Guardian au fil des années. Dans le dernier article, daté de 1998, votre journaliste fictif reconnaît l’échec de cette RDA 2.0 et se console en annonçant l’avènement prochain du vrai socialisme au Vénézuela. (Chavez est élu en février 1999) « Nous allons être témoins d’une expérience extraordinaire »: c’est la dernière phrase du livre. Vertigineux ! Pourquoi avoir opté pour la fiction ?

 

C’est un traitement plus simple et plus efficace qu’un exposé économique pour expliquer, étape par étape, que le socialisme finit toujours dans l’autoritarisme. La fiction me permet de supposer que les promoteurs de cette nouvelle RDA sont animés des meilleures intentions. Mais le régime se durcit puisqu’il institue une économie planifiée. Le but d’une économie planifiée est d’atteindre les objectifs fixés. Pour arriver à ses fins, l’État décidera où vous habitez, où vous travaillez. Ce n’est pas un hasard si les plans quinquennaux en Union Soviétique ont coïncidé avec l’instauration de passeports intérieurs.

 

Vous consacrez un chapitre au Vénézuela et rappelez les déclarations pro-Chavez de politiciens et intellectuels occidentaux. Comment analysent-ils la révolte actuelle de la population ?

 

Le Vénézuela offre l’exemple-type du modèle en 3 étapes. La lune de miel (phase 1) commence en 2005. Le chavisme est présenté comme un modèle d’égalité et de justice. Le régime bénéficie de cours du pétrole records pendant quinze ans. Les nationalisations sont utilisées comme mesures disciplinaires. La corruption se généralise. La mort de Chavez suscite pourtant des panégyriques de la part de Corbyn et nombre de députés.

 

Lire aussi : Le compte n’est pas bon dans le “neuf-trois”

 

En 2014, face à la pénurie d’aliments et de médicaments, le journaliste Owen Jones s’en prend aux critiques du chavisme à l’ouest, Ken Livingstone (ex-maire de Londres) accuse les saboteurs payés par la CIA (phase 2). Maduro refuse l’aide humanitaire. La population descend dans la rue. Le travailliste John McDonnel, apôtre de la première heure du chavisme, actuel chancelier de l’échiquier du shadow cabinet, déclare (phase 3) : « Le Vénézuela a échoué parce que ça n’est pas un régime socialiste ».

 

Propos recueillis par Sylvie Perez

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