Skip to content

La liberté ou l’égalité : les libéraux contre Napoléon

Par

Publié le

10 septembre 2019

Partage

[vc_row][vc_column][vc_column_text css=”.vc_custom_1568031593479{margin-right: 25px !important;margin-left: 25px !important;}”] 

Si Napoléon se donna des allures libérales dans le Mémorial de Sainte-Hélène, il lui fallut pour cela tordre le sens de son action passée à la tête de la France. Les désaccords entre les libéraux et le Premier Consul, puis l’Empereur, étaient trop profonds pour qu’ils fussent des alliés durables.

 

 

 

 

La niaiserie politique de La Fayette lui avait joué bien des tours. Au tournant du XIXème siècle, le « héros des deux mondes » était au couchant de sa gloire si précocement gagnée en Amérique. Bonaparte, lui en plein essor, était le héros que la Révolution avait élu pour se garder de ses excès et s’institutionnaliser. Il avait obtenu la libération du marquis par ses victoires en Italie, mais ne souhaitait pas le voir entraver ses desseins.

Les Français sont prêts pour la liberté, implorait l’ancien prisonnier à celui dont il avait approuvé le coup d’Etat. Ils la confondent avec la vanité, lui rétorquait le Premier Consul, à laquelle ils sacrifient à la fois l’ordre et l’égalité.

Le choix entre l’égalité ou la liberté avait une multitude de déclinaisons : l’Etat ou la société civile ; l’agriculture ou le commerce ; la France ou l’Angleterre, quand ce n’était pas l’Amérique chère au marquis …. Toute l’opposition entre Bonaparte, puis Napoléon, et les libéraux, contemporains ou à venir, s’en trouvait éclairée.

Bonaparte eut des paroles similaires dans d’autres circonstances. Pour Stendhal, rien de plus juste n’avait été dit sur la nation française.

Le choix entre l’égalité ou la liberté avait une multitude de déclinaisons : l’Etat ou la société civile ; l’agriculture ou le commerce ; la France ou l’Angleterre, quand ce n’était pas l’Amérique chère au marquis …. Toute l’opposition entre Bonaparte, puis Napoléon, et les libéraux, contemporains ou à venir, s’en trouvait éclairée.

 

 

Lire aussi : L’éditorial de Jacques de Guillebon : Investir l’empire du milieu

 

 

Le Washington français ?

 

D’opposition, saufs rares exceptions, il n’était pas encore question dans les premiers feux du Consulat. Les libéraux lui concédaient leurs préventions contre l’ « homme providentiel », toujours suspect de vouloir concentrer les pouvoirs à son profit. Ils approuvaient le coup d’Etat de Brumaire pour en finir avec l’anarchie et sauver la Révolution contre un retour des Bourbons. Ils saluaient le mariage de la société nouvelle avec celle de l’Ancien régime, entreprise dans laquelle tous les La Fayette avaient échoué pendant dix ans.

Pour le moment, dans l’esprit des libéraux, ce n’était qu’une affaire de temps. La dictature de salut public à la romaine avait été rendue nécessaire par des circonstances exceptionnelles. Ils espéraient bien que le nouveau maître du jeu borna désormais son ambition aux principes de 1789, tels qu’ils les entendaient, et fit évoluer son régime vers davantage de séparation des pouvoirs et de libertés individuelles.

La fin justifiait des moyens qui étaient loin d’être libéraux. Mais peu importait. Chateaubriand applaudissait et le comparait à George Washington. Même Germaine de Staël reconnaîtrait, avec le recul des années, que Bonaparte avait d’abord été l’homme d’une nécessité avant de devenir un « tyran ».

Pour le moment, dans l’esprit des libéraux, ce n’était qu’une affaire de temps. La dictature de salut public à la romaine avait été rendue nécessaire par des circonstances exceptionnelles. Ils espéraient bien que le nouveau maître du jeu borna désormais son ambition aux principes de 1789, tels qu’ils les entendaient, et fit évoluer son régime vers davantage de séparation des pouvoirs et de libertés individuelles. Bonaparte n’était-il pas, comme eux, un homme des Lumières ?

Faible raisonnement. En homme d’ordre, instruit qui plus est des engrenages de la Révolution, le Premier consul ne comptait pas se décharger du pouvoir qu’il avait conquis et dont il mesurait la fragilité. L’Etat enfin relevé, en un temps pourtant si court, ne devait pas masquer la persistance des périls intérieurs et extérieurs. Des jacobins et des royalistes, d’une part. Des puissances étrangères, de l’autre. L’ensemble de ces paramètres justifiait à ses yeux des mesures répressives contre la presse et l’opposition, même si elle était minime. Il ne voulait pas gouverner la France comme il eut gouverné l’Angleterre ou l’Amérique. Il ne voulait pas non plus être un nouveau Louis XVI.

 

 

Lire aussi : Raphaël Lahlou : « Napoléon, ce génie entre plusieurs îles ! »

 

 

« Servitude et silence »

 

Le premier acte de l’opposition libérale s’ouvrit en 1800 par le discours de Benjamin Constant au Tribunat. Il y défendait ses principes, du pouvoir qui arrête le pouvoir et du respect des lenteurs et des formes dans la confection des lois. Sans indépendance de l’assemblée, proclamait le protégé de Madame de Staël, « il n’y aurait plus ni harmonie, ni Constitution, il n’y aurait que servitude et silence ». Quand il l’apprit, Bonaparte entra dans une colère noire. Si celui-ci tolérait les désaccords au sein du Conseil d’Etat, il ne souffrait pas leur expression publique dans les chambres.

Effet collatéral du discours de Constant et de la réaction de Bonaparte : le salon de Madame de Staël était vide ! Mais elle ne regretta rien et l’opposition ne s’éteignit pas pour autant. Elle continua à s’exercer, au Tribunat surtout mais aussi au Corps législatif, contre des lois qui devaient faire partie du Code Civil. Elle rejeta également le concordat et la création de la légion d’honneur, sans être suffisamment nombreuse pour emporter la décision. La volonté d’élire certaines personnalités libérales à la tête des chambres irritait encore le Premier Consul.

Mais si la marche vers un pouvoir « sans limite et sans contrepoids », vers la tyrannie en somme, était autant acceptée, c’était aussi, pour Fauriel comme pour Madame de Staël, parce qu’elle rencontrait un caractère national enclin à l’autorité et qui, décidément, n’avait pas le génie anglais.

Considérant, non sans raisons, que sa puissance était le seul rempart au retour des Bourbons, il usa de ressorts juridiques pour étouffer cette résistance parlementaire. Bonaparte transforma ainsi le tribunat en chambre d’enregistrement, pour le supprimer finalement en 1807. L’opposition était pourtant bien faible. En deux ans, les assemblées n’avaient rejeté que 4 textes sur les 90 qui avaient été soumis aux votes … Aux parlementaires qui s’offusquèrent de ces coups de force pour si peu de choses, Bonaparte répondit qu’il était le seul représentant de la nation, fort de ses plébiscites.

Claude Fauriel, un érudit libéral qui avait été le protégé de Condorcet, jugerait qu’avec le concordat et la légion d’honneur beaucoup avait déjà été fait pour la fondation d’une monarchie héréditaire : « c’était en quelque sorte avoir marqué la place du trône, écrirait-il dans Les derniers jours du Consulat[1], il ne restait plus qu’à l’élever ». Mais si la marche vers un pouvoir « sans limite et sans contrepoids », vers la tyrannie en somme, était autant acceptée, c’était aussi, pour Fauriel comme pour Madame de Staël, parce qu’elle rencontrait un caractère national enclin à l’autorité et qui, décidément, n’avait pas le génie anglais. On en revenait au même problème. Les Français n’aiment pas la liberté, déplorait Chateaubriand. Ils préfèrent l’égalité quitte à avoir le despotisme avec lequel elle entretient des liens secrets. Ils vont « indistinctement » au pouvoir.

 

 

Lire aussi : Napoléon le plus étranger des Français

 

 

Exils, or et honneurs

 

Parmi ces libéraux qui s’étaient dressés face à Bonaparte, beaucoup étaient des idéologues. Leur mot d’ordre était celui de Destutt de Tracy : « le but de l’homme est l’accroissement de la liberté ».  Ils se retrouvaient dans le salon de Madame de Staël, bien qu’avec Benjamin Constant elle ne fût pas idéologue elle-même, Rue du Bac ou encore chez Madame de Condorcet. Ces hommes croyaient en un progrès universel de la raison, notamment grâce à l’éducation, contre l’« obscurantisme religieux ». Ils défendaient le suffrage censitaire, plutôt que le suffrage universel dont ils se méfiaient, et la liberté du commerce.

Sans chef charismatique, bien obligés de constater la popularité du Premier consul, privé par lui de tribune parlementaire, dans l’impossibilité enfin de s’exprimer dans une presse contrôlée par le régime, ils étaient désarmés. Bonaparte emporta la décision en les comblant d’or et d’honneurs. Saufs exceptions, les opposants au Premier Consul devinrent des comtes d’Empire.

Bonaparte les qualifiait de « métaphysiciens » et jugeait que leur abstraction avait fait plus de mal à la France que les révolutionnaires. Il ne s’opposa pas seulement à eux dans les chambres : en 1803, il supprima également la classe des sciences morales et politiques de l’Institut. Sans chef charismatique, bien obligés de constater la popularité du Premier consul, privé par lui de tribune parlementaire, dans l’impossibilité enfin de s’exprimer dans une presse contrôlée par le régime, ils étaient désarmés. Bonaparte emporta la décision en les comblant d’or et d’honneurs. Saufs exceptions, les opposants au Premier Consul devinrent des comtes d’Empire.

Les libéraux qui n’étaient pas des idéologues ne furent pas mieux lotis. La Fayette refusait les décorations et les postes les uns après les autres et vivait retiré. Il se prononça contre le Consulat à vie et l’Empire. Chateaubriand, qui avait célébré le concordat, était maintenant privé de séjour dans la capitale puis de discours de réception à l’Académie française. Madame de Staël, l’ « Intrigante » comme l’appelait Napoléon, fut exilée et fustigea partout en Europe l’oppresseur ennemi des lettres qui gouvernait son pays. Son manuscrit de De l’Allemagne fut brûlé car, aux dires du ministre de la police, il n’était « point français ».

 

 

Lire aussi : Dimitri Casali : historien rock

 

 

« C’est le genre humain qui t’accuse »

En bon joueur d’échec, Bonaparte avait réussi son coup. L’opposition libérale, réduite à seulement quelques individus, s’éclipsa pendant dix ans.

Le deuxième acte s’ouvrit seulement à la toute fin de 1813, quand l’Empire tremblait dans ses fondations. Le général Malet avait déjà failli entraîner la chute du régime l’année précédente en proclamant la mort de l’Empereur. Personne n’avait alors songé au roi de Rome pour succéder à son père, preuve que l’Empire ne tenait qu’à un homme. Une défaite décisive et tout était fini.

Le député accusait l’Empereur d’avoir fait échouer les négociations de Francfort, critiquait son ambition « si fatale depuis vingt ans à tous les peuples de l’Europe ». Il parlait d’une guerre « barbare et sans but ». En dix ans, on n’avait pas entendu pareille critique contre la politique extérieure de Napoléon. Pour les libéraux, plus que jamais, elle était démesurée et anachronique.

En décembre, dans une ambiance qui rappelait celle des assemblées révolutionnaires, le Corps législatif vota massivement l’impression du discours de Lainé. Le député accusait l’Empereur d’avoir fait échouer les négociations de Francfort, critiquait son ambition « si fatale depuis vingt ans à tous les peuples de l’Europe ». Il parlait d’une guerre « barbare et sans but ». En dix ans, on n’avait pas entendu pareille critique contre la politique extérieure de Napoléon. Pour les libéraux, plus que jamais, elle était démesurée et anachronique. Lainé attaquait aussi l’Empereur sur sa politique intérieure. Il demandait des libertés politiques et considérait que le Corps législatif était désormais « l’arbitre » entre l’Empereur et le peuple.

Inutile de décrire la réaction que cette charge provoqua chez Napoléon. Le discours fut bien sûr interdit de publication et l’Empereur eut recours aux décrets pour contourner l’assemblée. Le mal était fait. C’était une fissure de plus dans l’édifice impérial.

Quelques mois plus tard, le même Corps législatif, ainsi que le Sénat, prononçaient la déchéance de Napoléon défait par les puissances étrangères. Les Comtes d’Empire d’hier, là encore saufs exceptions, redevenaient des opposants libéraux. Et les humiliés se faisaient humiliant. Quelques jours avant la décision rendue par les chambres, Chateaubriand avait fait publier son pamphlet, De Buonaparte et des Bourbons. « C’est le genre humain qui t’accuse, y lisait-on. Il nous demande vengeance au nom de la religion, de la morale et de la liberté ».

 

 

Lire aussi : Dans les habits de l’Empereur

 

 

Le Napoléon « libéral »

Les libéraux, comme tous les autres, furent à nouveau dépassés par la formidable capacité de Napoléon à se sortir de situations désastreuses. Germaine de Staël était bien obligée de saluer l’audace du Vol de l’Aigle, de Golfe Juan jusqu’aux Tuileries. Elle n’approuva pas pour autant son retour. Benjamin Constant non plus qui le comparait à Gengis Khan. Il avait parlé bien vite. Quelques jours plus tard, il était chargé d’une nouvelle constitution par l’Empereur rétabli sur son trône. « Apportez-moi vos idées : des discussions publiques, des élections libres, des ministres responsables, la liberté de la presse, avait-il dit au philosophe, le repos d’un roi constitutionnel peut me convenir. Il conviendra plus sûrement encore à mon fils ». Calcul, bien sûr, de la part d’un homme qui n’avait plus les moyens dont il disposait il y a quelques années et qui devait gagner du temps. Dans le choix de Constant, en revanche, la crainte des Bourbons et la défense de la patrie en danger se mêlaient à l’ambition personnelle.

Après avoir gouverné une île, Napoléon devait maintenant se contenter d’un pouvoir limité qu’il faisait semblant d’approuver …

L’Acte additionnel aux constitutions de l’Empire redonnait des libertés à la presse et partageait le pouvoir de l’Empereur avec deux chambres. Contrairement à la charte de Louis XVIII qui avait été octroyée, le texte était soumis à plébiscite. Ce fut surtout l’abstention qui l’emporta. Il ne satisfaisait personne : ni les libéraux qui n’y voyaient que du Napoléon, ni les fidèles de l’Empereur qui n’y voyaient que du Constant. Les premiers remportèrent largement les élections avec près de 500 sièges sur 629. Ils élurent Lanjuinais à la tête de la chambre des représentants, un homme qui fut longtemps opposant à l’Empire. Après avoir gouverné une île, Napoléon devait maintenant se contenter d’un pouvoir limité qu’il faisait semblant d’approuver …

 

Mais ce qui s’était produit un an plus tôt arriva à nouveau. Là encore, le régime de Napoléon ne tenait qu’à ses victoires militaires. Tout s’écroula après Waterloo. La Fayette porta la demande de déchéance dans la chambre des représentants. L’Empereur abdiqua. La parenthèse était déjà renfermée.

Les partisans de l’Empereur, qui ne désespéraient pas de voir régner son fils, s’allièrent avec les libéraux contre les monarchistes. Ils pouvaient arguer à raison que l’Empereur avait combattu les rois, émancipé les juifs et sauvé la Révolution. Ils passaient sous silence la censure, l’exil des opposants et le régime héréditaire.

L’image du Napoléon libéral qui s’imposa au cours du XIXème siècle ne tenait pas vraiment aux Cent-Jours. En maître de la propagande, l’Empereur déchu y avait lui-même contribué. Dans le Mémorial de Sainte-Hélène, il se posa en champion des nationalités, malgré le démenti qu’avait été son action en Europe pendant plus de dix ans. A cette posture, relayée par les romantiques, s’ajoutèrent aussi des alliances stratégiques. Les partisans de l’Empereur, qui ne désespéraient pas de voir régner son fils, s’allièrent avec les libéraux contre les monarchistes. Ils pouvaient arguer à raison que l’Empereur avait combattu les rois, émancipé les juifs et sauvé la Révolution. Ils passaient sous silence la censure, l’exil des opposants et le régime héréditaire.

 

La monarchie des Bourbons ne devait survivre que neuf années à la mort de Napoléon. Sur ses décombres, Louis Philippe était proclamé, avec l’onction du vieux La Fayette, toujours lui, roi des Français. La monarchie « à l’anglaise » était préférée à la République. Les libéraux triomphaient. C’était pourtant ce même roi bourgeois qui décidait, dix ans plus tard, du retour des cendres de Napoléon auprès du peuple français qu’il avait « tant aimé ». Pour faire détourner les yeux de sa politique extérieure, il appelait à son secours le souvenir du « tyran » qui avait jadis porté atteinte au genre humain. C’est ce qu’on appelle l’ironie de l’Histoire …

 

Pierre Cadmos

 

 

[1] Réédité cette année aux éditions Minerve, sous le titre de Mémoire sur la destruction de la République par Bonaparte.

 

[/vc_column_text][/vc_column][/vc_row]

EN KIOSQUE

Découvrez le numéro du mois - 6,90€

Soutenez l’incorrect

faites un don et défiscalisez !

En passant par notre partenaire

Credofunding, vous pouvez obtenir une

réduction d’impôts de 66% du montant de

votre don.

Retrouvez l’incorrect sur les réseaux sociaux

Les autres articles recommandés pour vous​

Restez informé, inscrivez-vous à notre Newsletter

Pin It on Pinterest