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Rebond gauchiste en Amérique latine ?

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Publié le

20 avril 2020

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Après plusieurs années de revers et de déclin, la gauche de la gauche latino tente de faire son come-back. Sans grand succès jusqu’ici.

 

Lula brisé, Lula outragé, Lula martyrisé mais Lula libéré ! La coqueluche brésilienne des années 2000, l’icône du forum de São Paulo était chaudement accueillie à l’hôtel de ville de Paris par Anne Hidalgo début mars, en pleine campagne des municipales, peu de temps après sa libération conditionnelle au terme de 18 mois de prison pour faits de corruption. Une tournée européenne comme symbole de la fin du tunnel pour une gauche latino-américaine qui semblait ces dernières années confinée à sa pire caricature, au Venezuela ?

 

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De fait, le reflux de la gauche manifesté par l’arrivée ou le retour de la droite en Argentine en 2015, en Colombie et au Chili en 2018 puis au Brésil en 2019 a pour le moins marqué une pause. Au Mexique en 2018, Andrés Manuel López Obrador, un vieux dinosaure de la gauche latino-américaine, a remporté dès le premier tour la présidentielle après deux tentatives infructueuses. Quelques mois plus tard, la gauche du péronisme a repris le pouvoir en Argentine, les mouvements sociaux ont essaimé au Chili, meilleur élève des « Chicago boys » et du consensus de Washington, en Équateur ou encore en Colombie… Entretemps, malgré le tragique exil de millions de Vénézuéliens dans toute la région, les pressions américaines et l’hostilité de ses voisins, Nicolás Maduro est resté au pouvoir à Caracas et se saoule de diatribes guévaristes qui prêteraient à sourire si l’on oubliait les souffrances d’un peuple en pleine noyade.

Pas de quoi cependant décrire à ce jour un net retour de balancier : fin 2019, l’indéboulonnable leader indigéniste Evo Morales a été renversé en Bolivie, un président de droite a été élu en Uruguay après 15 ans de domination de la gauche plurielle du Frente Amplio et, en Amérique centrale, à l’exception du Nicaragua toujours sous la coupe de l’insubmersible sandiniste Ortega, la gauche ne fait pas ou plus recette. Un partout, la balle au centre entre Bolsonaro et Maduro ?

 

Aujourd’hui, à de rares exceptions près, la gauche vert olive est remisée aux vieux albums mais continue d’illustrer quelques T-shirts produits au Vietnam ou au Bangladesh. En Colombie, cela faisait longtemps que la guerre de guérilla des FARC n’était plus que le paravent des juteux trafics de stupéfiants.

 

Il faut revenir au forum de São Paulo, cette confédération panaméricaine de partis de gauche très divers, idée géniale de Fidel Castro à l’orée des années 1990 qui fit frémir de bonheur et d’espoir toutes les « forces de progrès » d’alors. La gauche latino-américaine prenait acte de l’échec soviétique et de la fin de la guerre froide, laissant cependant à Cuba un « magistère muséal ». Vite, les déterminants historiques de la gauche régionale allaient évoluer. Aux grands axiomes des années 1960 qu’étaient l’anti-impérialisme et la dialectique entre développement économique autonome (« desarrollismo ») et théologie de la libération succédaient progressivement, selon les pays et les moments, l’affirmation indigéniste, la dénonciation bruyante mais vaine du néolibéralisme, la réécriture des affrontements de la guerre froide et la purge militante des institutions (procès des dictatures), les grands plans d’assistanat social puis l’agenda progressiste international, avec en particulier les questions sociétales.

Comme en Europe, le ralliement de plus ou moins bonne grâce au marché était volontairement noyé sous un torrent de bonnes intentions et transgressions nouvelles. Deux politologues en particulier étaient invoqués pour illuminer une voie nouvelle entre le communisme caduc et la social-démocratie méprisée : l’Argentin Ernesto Laclau et la Belge Chantal Mouffe offraient un flambant populisme de gauche 2.0.

 

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Aujourd’hui, à de rares exceptions près, la gauche vert olive est remisée aux vieux albums mais continue d’illustrer quelques T-shirts produits au Vietnam ou au Bangladesh. En Colombie, cela faisait longtemps que la guerre de guérilla des FARC n’était plus que le paravent des juteux trafics de stupéfiants. L’impunité, si décriée quand elle bénéficie aux militaires, et le blanchiment massif d’argent sale autorisés par le processus de paix conduit au forceps par Juan Manuel Santos, oligarque cynique oint du Nobel de la paix, ont eu à peu prés raison des derniers oripeaux d’une gauche sépia qui passait des couloirs de l’université aux maquis et maniait indistinctement la plume et la kalach’.

Quelle gauche donc agite en 2020 les amphis décatis des facs de sciences sociales de Buenos Aires, Mexico, Santiago ou Bogotá ? Elle est plus gramscienne que jamais et domine sans partage ou presque la culture urbaine contemporaine – sans grand génie cependant. Elle n’a plus rien à voir avec les curés rouges ou roses, l’ouvriérisme ni avec l’indigénisme lévistraussien. Elle se veut alternative, intersectionnelle. Elle reste essentiellement bourgeoise et ne se soucie plus vraiment des masses, dont elle a compris qu’elles étaient de toute façon quantité négligeable dans la mondialisation. Elle n’écoute plus Moscou ni La Havane, ni Paris d’ailleurs, mais San Francisco et éventuellement le Madrid de Podemos.

 

Fini donc le communisme tropical ? Pas tout à fait. Il gouverne toujours à La Havane et Caracas, avec le même insuccès que partout ailleurs. Sa précieuse caution, les sanctions américaines, permet aux régimes des deux pays de se dédouaner de leurs terribles échecs.

 

Elle se gargarise de slogans révolutionnaires – assez mièvres d’ailleurs – dans les rues de Santiago mais ses agitateurs ne quittent pas leurs airpods et ne rêvent plus aux maquis révolutionnaires. Le nouvel accessoire de ralliement est le foulard vert pro-avortement, plus le drapeau rouge. Son agenda est au fond très social-démocrate (davantage de subventions et services publics, éducation supérieure démocratisée, contestation de l’autorité et de tout immanence), avec quelques zestes LGBT, une petite pincée de folklore indien ou afro, sur fond de chorégraphies anti-patriarcales mondialisées. Elle est absolument compatible avec, si ce n’est faite pour (et par) les grandes ONG et fondations américaines (Open Society, Ford, Gates, Clinton), qui cornaquent avec succès un système interaméricain des droits de l’Homme créé pour lutter contre les dictatures militaires et qui, faute de vilains soldats tortionnaires en nombre suffisant pour justifier sa vaste bureaucratie, se consacre désormais en priorité à un agenda d’ingénierie sociétale.

Fini donc le communisme tropical ? Pas tout à fait. Il gouverne toujours à La Havane et Caracas, avec le même insuccès que partout ailleurs. Sa précieuse caution, les sanctions américaines, permet aux régimes des deux pays de se dédouaner de leurs terribles échecs.

 

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En face, dans « le camp du moins mal », le libre marché (des copains) et l’ouverture économique internationale se prêtent aussi bien que l’économie administrée à la corruption systémique sans être plus capables de réduire les inégalités. Au Mexique par exemple, le pouvoir d’achat du salaire minimum s’est réduit de 55% entre 1982 et 2018, selon une étude… du patronat ! Le terreau reste donc fertile pour qui veut manipuler la juste indignation de populations bosseuses mais violemment insérées dans une mondialisation où elles n’ont pas les places d’honneur.

Au programme donc, pas de grand soir au Ponant mais une fâcheuse tendance à subir, détruire, copier ou singer. La gauche déconstruit, en chantant. La droite, elle, « gère » honteusement, sans valeurs, sans modèle et sans même un bon vieux parrain yankee veillant au grain.

 

Par Philippe Convers

 

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