Skip to content

Rencontre au sommet (6/6) : Mélenchon, la droite, l’immigration, le complotisme et la presse

Par

Publié le

24 octobre 2022

Partage

L’Incorrect a organisé une rencontre exceptionnelle entre quatre des plus grands intellectuels de notre temps pour une conversation de haut vol sur l’avenir de la France. Dans cette sixième et dernière partie, Chantal Delsol, Alain Finkielkraut, Mathieu Bock-Côté et Pierre Manent s’interrogent sur l’extrême gauche et l’extrême droite, le complotisme et la presse.
intellos

Pierre Manent – Jean-Luc Mélenchon s’inscrit dans la tradition révolutionnaire qui a tant marqué l’histoire française moderne. Il met en scène sa recherche d’un nouveau peuple. À la fois il accepte et même célèbre la notion – si suspecte aujourd’hui – de peuple, il dit avec jouissance « notre peuple », mais ce peuple n’est pas le peuple français, ce n’est pas le vieux peuple, c’est un nouveau peuple. Son coup d’audace est de placer à la tête de ce nouveau peuple les immigrés, les musulmans, y compris les plus conquérants. C’est un peuple infigurable, un peuple qui adviendra après la disparition des peuples historiques, un peuple sans passé mais seulement un avenir toujours à venir. En attendant, il prend le risque de mettre au premier plan, délibérément, dans ce nouveau peuple, cette partie de la population française qui garde ou renouvelle son attache au plus long passé, un passé qui ne veut pas passer, réaffirmant sans cesse son inimitié à l’égard de toutes les expressions de la vie française, y compris bien sûr la Révolution.

Alain Finkielkraut – Jean-Luc Mélenchon croit au grand remplacement. Il mise sur le changement de peuple pour accéder au pouvoir. Il veut à tout prix ouvrir complètement les frontières et favoriser l’immigration, car, pour lui, le nouveau peuple est une réserve de voix inépuisable. Il le flatte donc sans vergogne, judéophobie incluse. Quand Jeremy Corbyn a été sommé de combattre l’antisémitisme qui sévissait au sein du parti travailliste anglais, Mélenchon a affirmé que, pour sa part, il ne céderait jamais aux oukazes communautaristes du CRIF. Il agissait ainsi non par conviction mais par électoralisme. C’est avec le même calcul en tête qu’il va répétant « la police tue », alors même que se banalisent les violences antipolicières. À ses yeux, les délinquants, les trafiquants et les sympathisants de leur cause sont assez nombreux pour qu’il les caresse dans le sens du poil. Cette démagogie est sans précédent.

« Si le prolétaire a été remplacé par l’immigré, c’est peut-être parce que le combat a été gagné et que les prolétaires sont devenus des petits bourgeois »


Chantal Delsol

Mathieu Bock-Côté – Je crois que Jean-Luc Mélenchon fait une lecture un peu différente. Mélenchon ne pense pas qu’il y ait une majorité de dealers et de trafiquants. Il se dit toutefois que la population de ces quartiers, entre deux souverainetés, celle des gangs et celle de la République, préfère se regrouper davantage sous la première, dans une forme d’unité ethno-culturelle qui surplombe l’appartenance nationale, quand elle ne s’y substitue pas, tout simplement. Il pousse le principe révolutionnaire jusqu’à son point d’aboutissement, il le retourne contre la France – ce qui n’est pas nouveau à l’échelle de l’histoire. Mais là, il l’emplit d’une réalité nouvelle, de ce nouveau peuple et il utilise volontairement un langage factieux, et cherche à capter son énergie insurrectionnelle, au moment d’ailleurs où le RN a, lui, une stratégie d’embourgeoisement accéléré dans l’espoir d’être normalisé dans les institutions et devenir le parti non plus de l’alternative, mais de l’alternance.

Quant au concept « d’arc républicain », je suis de ceux qui confessent une exaspération totale envers ce concept – je dirais la même chose du concept de cordon sanitaire, quel qu’il soit. La démocratie ne saurait se constituer en bannissant de la cité ceux qui ont la suprême audace de mal voter. Le propre du régime diversitaire est de retourner finalement la logique du salut public contre ceux qui veulent le salut national. Le pays se désagrège, mais la criminalisation du camp national se poursuit, à travers son extrême-droitisation systématique.

Chantal Delsol – Si le prolétaire a été remplacé par l’immigré, c’est peut-être parce que le combat a été gagné et que les prolétaires sont devenus des petits bourgeois. C’est peut-être au contraire parce que le combat a été perdu, et que l’on n’arrive plus à défendre les prolétaires. Mais finalement, c’est juste parce qu’on a changé de victime qu’on est dans cette situation : l’immigré est devenu la victime sacrificielle, divine. Dans le discours de Mélenchon, c’est ce que je vois. Mais au fond, c’est la poursuite du marxisme, qu’il revendique complètement. Pourtant, à l’intérieur même du camp post-marxiste, il y a une querelle : certains s’indignent que la cause sociale ait été abandonnée au profit de la cause sociétale…

Lire aussi : Rencontre au sommet : La France, qu’est-ce qu’il en reste ?

Alain Finkielkraut – Je souscris à ce tout ce que vient de dire Mathieu Bock-Côté sur le danger de constituer un « arc républicain » et sur la criminalisation de l’idée du « camp national ». Je pense cependant que l’extrême droite n’est pas morte, ou plutôt qu’une nouvelle extrême droite est en train de surgir. Il faut être lucide, et même si je n’aime plus beaucoup ce terme, vigilant. Je vois trois composantes de cette extrême droite. Une composante complotiste, qui s’est manifestée pendant la pandémie, dans le discours anti-vax, dans l’idolâtrie de Didier Raoult, seul contre tous, seul contre les pouvoirs, seul contre Big Pharma, toutes ces conneries.

Une composante farouchement pro-russe aussi, qui devrait nous conduire à cette réflexion : comment se fait-il que le souverainisme en France mène non à la défense des nations, mais à la prosternation devant la force impériale.

Troisième composante, enfin : un antiaméricanisme échevelé. J’ai entendu Thierry Mariani expliquer très sérieusement que cette guerre profitait d’abord aux États-Unis, qui vendaient des armes et s’enrichissaient en se frottant les mains. À ce que je vois, les Américains dépensent beaucoup d’argent pour aider l’Ukraine, ce pays agressé et que la Russie promet d’engloutir. Les prétendus souverainistes, habités par la haine de l’Amérique, prennent le parti de Poutine, de son abjecte propagande anti-nazie : c’est pour moi un vrai sujet de préoccupation. L’extrême droitisation de l’adversaire est un procédé rhétorique que Mathieu Bock-Côté dénonce jour après jour avec raison. Mais croire que la pensée d’extrême droite a disparu en France, cela me semble très aventureux.

Pierre Manent – Mais ce discours essentiellement anti-américain est tenu à l’extrême gauche aussi. 

« Je peux comprendre certaines critiques de notre politique à l’égard de la Russie. Mais comment ne pas voir la réalité du régime russe, sa brutalité invétérée, le recours permanent aux mensonges les plus effrontés, ce besoin de menacer ? »


Pierre Manent

Alain Finkielkraut – Oui, absolument. Les extrêmes se touchent. Mais il est étonnant de voir ceux qui se veulent les défenseurs de la pluralité humaine, applaudir à l’éventualité de l’absorption de l’Ukraine par la puissance impériale russe.

Chantal Delsol – Le complotisme est partout, je le constate moi-même, je suis entourée de complotistes, et il s’agit en effet d’un extrémisme qui monte. Mais il est aussi bien de gauche que de droite. Cela dit, pour la partie « droite », l’admiration des régimes forts, c’est la passion de l’ordre. Et il y a chez eux la croyance fausse selon laquelle Poutine serait un conservateur, qui défendrait la religion. Poutine serait le fameux katechon, le rempart de la chrétienté. C’est absurde : ce n’est pas parce qu’il refuse le mariage pour tous qu’il représente un rempart honorable pour la chrétienté. Quant à l’ordre : oui, Poutine défend l’ordre, au sens où l’on disait sous le communisme « l’ordre règne à Varsovie ». Merci bien.

Pierre Manent – On voit bien pourquoi Vladimir Poutine est une figure populaire chez ceux qui ont le regard fixé sur les maux de notre société, qui déplorent l’incapacité de nos pays à préserver leur indépendance et leur forme de vie. La solution la plus simple pour faire face à notre décadence, c’est de chercher ailleurs un modèle qui paraisse indemne de nos vices. À coup sûr,  le régime russe est indemne de certains de nos vices, mais il en a beaucoup d’autres ! Je peux comprendre certaines critiques de notre politique à l’égard de la Russie, ou qu’on soit exaspéré par la jactance européenne. Mais comment ne pas voir la réalité du régime russe, sa brutalité invétérée, le recours permanent aux mensonges les plus effrontés, ce besoin de menacer, cette incapacité à trouver d’autres moyens d’influence que la force ou la menace de la force, et en même temps l’incompétence dans l’emploi de cette force ?  Les conservateurs qui ont des sympathies pour le régime russe doivent se demander : qu’y a-t-il aujourd’hui dans la vie russe qui soit admirable, aimable, désirable ?

Lire aussi : Rencontre au sommet (5/6) : l’identité comme rempart

Mathieu Bock-Côté – Il y a un fantasme dans une partie de la droite, celui de la recherche du Rédempteur extérieur. C’est paradoxal. Cette frange de la droite, en quête d’énergie, fascinée par la force, cherche souvent dans une capitale étrangère idéalisée la puissance qui nous manque pour nous relever collectivement. Cela a mené au fil de l’histoire à quelques embrassades plus que malheureuses. Et c’est ainsi que ces dernières années, une partie de la droite a voulu voir en Poutine le sauveur de l’Occident !

Cela dit, certains s’imaginent que les derniers événements sur le front ukrainien viennent laver nos démocraties de leurs tares – elles sont pourtant toujours bien réelles. Dans toute guerre, il y a une part d’enthousiasme, de propagande et de simplification : il n’en demeure pas moins que nos sociétés sont traversées par de réels virus idéologiques, qui les poussent à consentir à une forme d’institutionnalisation du mensonge, sans lequel le récit du vivre-ensemble s’effondrerait. Le discours officiel tenu sur l’immigration dans le monde occidental est grossièrement lyssenkiste. Il repose sur la falsification du réel. Il en est de même quand on parle d’insécurité, réduite à une série de faits divers. Il en est de même quant on parle d’identité sexuelle. Les médias construisent une réalité alternative, conforme aux exigences idéologiques du régime : le régime diversitaire, de ce point de vue, a été anticipé à la fois par Orwell et par Milosz.

Chantal Delsol – Mais la société ukrainienne est « progressiste », c’est ça le problème de Poutine. La GPA en Ukraine a poussé plein de conservateurs français dans les bras des Russes.

Mathieu Bock-Côté – Nos sociétés perdent aussi la tête. On autorise et on encourage chez les Ukrainiens des vertus que l’on condamne absolument chez nous. Patriotisme et frontières sont admirables chez eux, mais fascisme chez nous. Cette fraude idéologique rend fou.

« Le régime diversitaire confesse ses méthodes, il nous soumet à un monde falsifié, contrefait, et nous empêche de nommer notre propre réalité »


Mathieu Bock-Côté

Alain Finkielkraut – J’ai appris en lisant L’Express que le modèle dont s’inspiraient aujourd’hui les Ukrainiens, c’est l’État d’Israël. Ils sont fascinés par la résistance d’Israël dans un environnement hostile, par Tsahal, par la manière israélienne d’utiliser les nouvelles technologies. J’y suis d’autant plus sensible que l’antisémitisme ukrainien n’est pas une invention de Poutine. C’était une modalité du nationalisme qui s’est donné libre cours pendant la Seconde Guerre mondiale. La transformation de l’Ukraine sous l’effet de ces événements a quelque chose d’extraordinaire pour moi. Je me félicite aussi de l’échec de la propagande russe en France. Je me souviens, en effet, de ce qui s’est passé en 1991 lors de la guerre en ex-Yougoslavie : quand j’ai pris parti pour la Slovénie et pour la Croatie, les Serbes avaient réussi à convaincre une grande partie de l’opinion française et occidentale de la justesse de leur combat contre le nazisme croate. Je me souviens d’avoir été contacté par des représentants de la Serbie, qui voulaient qu’en tant que juif, je leur donne mon imprimatur. Poutine a voulu jouer le même jeu. Son objectif était de détruire un régime hitlérien et même organiser à Kiev un nouveau procès de Nuremberg. Le procédé, cette fois, n’a pas fonctionné. Et c’est un progrès de la conscience européenne. 

À propos de ce que disait Mathieu Bock-Côté : oui, certains, en France, voudraient nous faire vivre dans un monde fictif. Et les médias présentent à cet égard un danger beaucoup plus puissant que les politiques. Mathieu Bock-Côté fait la critique du concept de faits-divers. Il y a des faits qu’on inscrit dans cette rubrique pour dire qu’ils sont sans importance alors qu’ils sont très caractéristiques d’une France en voie de désintégration. Mais il y a pire que cela : la plupart de ces faits n’entrent même pas dans la rubrique des faits-divers, ils sont occultés, ils sont niés purement et simplement. Il y a quelque temps, je l’ai appris par les bandeaux d’une chaîne d’information continue, une professeur du lycée Malherbe, à Caen, a été agressée à l’arme blanche par un élève. Tout cela ne sera relevé par aucun de nos grands journaux, certainement pas par Le Monde, par Libération, ni par la radio et la télévision de service public. Et cette censure est absolument continue. Je ne dirais pas que la France est à feu et à sang, mais des violences de ce type sont quotidiennes et on n’en entend presque jamais parler. Le Monde, le New York Times et le Washington Post sont devenus des Pravda. Mais ces Pravda sont à elles-mêmes leur propre Kremlin. Et cela non plus ne s’est jamais vu dans l’histoire.

Lire aussi : Rencontre au sommet (4/6) : l’islam et la France

Mathieu Bock-Côté – Il y a un récit médiatique qu’il faut néanmoins déconstruire. Les faits qui troublent le régime sont généralement invisibilisés, ils n’existent pas. Lorsqu’ils arrivent, ils sont nommés comme faits-divers : on est obligé de les nommer, mais on leur dénie le pouvoir de restructurer le récit médiatique, de devenir des faits sociaux et politiques. La notion de fait-divers sert à faire une concession illusoire au réel. On le nomme à condition de le dépolitiser, de la désymboliser, de le désociologiser. Pour preuve dans Le Monde, quand un événement a changé en Italie la campagne électorale, c’est-à-dire qu’un migrant guinéen a violé une Ukrainienne de 56 ans dans une rue, on a assurément dit que c’était un peu triste, mais on s’est surtout ému que cet événement qui aurait dû demeurer un fait-divers mineur en soit venu à restructurer la campagne électorale. Le régime diversitaire confesse ses méthodes, il nous soumet à un monde falsifié, contrefait, et nous empêche de nommer notre propre réalité. Mais le réel est têtu. Il cogne. Il mord. Et il est de plus en plus difficile de faire semblant qu’il n’existe pas.

EN KIOSQUE

Découvrez le numéro du mois - 6,90€

Soutenez l’incorrect

faites un don et défiscalisez !

En passant par notre partenaire

Credofunding, vous pouvez obtenir une

réduction d’impôts de 66% du montant de

votre don.

Retrouvez l’incorrect sur les réseaux sociaux

Les autres articles recommandés pour vous​

Restez informé, inscrivez-vous à notre Newsletter

Pin It on Pinterest