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[Reportage] Guerre de Religion en Terre sainte ?

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11 avril 2023

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Entre les tensions qui marquent chaque année la célébration du Ramadan dans la Vieille Ville, la préparation de Pessah par la communauté juive, la multiplication des actes anti-chrétiens par des fanatiques ultra-religieux proches du parti du ministre de la Police et l’agonie du gouvernement de Benjamin Nethanyahu, Israël tremble : nouvelle intifada, guerre civile ou de religion ?
Israel

Une détonation déchire la nuit. Sourde, presque mélodieuse ; elle court sur les toits de la Terra Sancta, imposante bâtisse du Patriarcat latin de Jérusalem fièrement dressée au cœur historique du quartier chrétien de la Vieille-Ville, où vivent volontaires et pèlerins désargentés de la communauté franciscaine. Il est 4h03. Au neuvième mois de l’Hégire, le ramadan de l’an 1444 s’invite cette année dans le calendrier du Carême chrétien et de Pessah, la Pâque juive.

Deux familles musulmanes se partagent toujours l’ouverture et la fermeture de l’entrée principale de la basilique, selon l’ordre donné par… Saladin en 1192

À quelques jours de la plus importante fête chrétienne de l’année, Jérusalem, capitale du pays et des trois monothéismes, est en effervescence. Le mois réputé sacré de l’islam commence, rythmé par des mélopées entêtantes qui dégoulinent des minarets du vieux Jérusalem jusqu’aux marches de l’esplanade des mosquées, où 200000 fidèles se rassembleront chaque vendredi suivant la tradition.

Mort et résurrection de Jésus pour les chrétiens, cité fondatrice du premier temple de Salomon pour les juifs et départ du « Voyage céleste » du prophète Mohamad : la ville trois fois sainte enfile ses habits de lumière pour faire honneur à plus de 3 millions de visiteurs annuels en escale, sur le chemin de Nazareth, Hébron ou Bethléem, et un record de 650000 pèlerins avant la pandémie.


Sur le chemin de croix qui remonte vers le Saint-Sépulcre, la Vieille Ville de Jérusalem trois fois sainte affiche une fausse bonhomie. Juifs orthodoxes et musulmans s’y croisent sans jamais se rencontrer (© Claude Corse pour L’Incorrect)

Des plaies à vif

Ici tout le monde vous le dira : les temps de prière et de jeûne musulmans sont toujours ardents, traduction littérale du mot ramadan qui évoque une chaleur torride. Doux euphémisme quand on sait que la dernière édition a fait 150 blessés parmi les Arabes et plus de 500 arrestations sur l’esplanade des Mosquées. Les effectifs de l’Israeli Police ont été doublés, tout particulièrement sur le chemin d’Al Aqsa et à la Porte de Damas, qui marque l’entrée du quartier musulman de la Vieille Ville, où les esprits s’échauffent au fil des semaines, surtout après l’installation de barrages policiers qui avaient causé de violentes émeutes en 2022.

Difficile d’évoquer la foi en Terre Sainte sans réveiller les plaies du conflit israélo-palestinien qui déchire les communautés abrahamiques. À 67 ans, Youssef est guide pour arrondir ses fins de mois à cause de la vie chère : « J’ai un travail passionnant ; je ne me plains pas. La situation de mes collègues palestiniens est autrement plus compliquée à cause des contrôles interminables aux check-points établis le long de la Cisjordanie, derrière le limes des murs de béton bardés d’électronique, de caméras et de barbelés… » Technique que l’empereur Hadrien avait retenue en son temps pour défendre les frontières de l’empire romain en Bretagne. Le même qui fit rebaptiser Jérusalem et expulser les juifs, offrant, dit-on, à la ville son premier évêque non circoncis…

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« Si je me présente comme Arabe, Israélien et chrétien, mes clients sont surpris, reprend le vieux guide en riant. Surtout les Français, qui ouvrent largement leurs frontières aux Arabes du Maghreb, tous musulmans… » Youssef le sait : la plupart de ses clients pèlerins viennent découvrir l’histoire de la Palestine biblique ; pas celle de Jérusalem-Est occupée. Ils veulent seulement marcher sur les pas de Jésus le Nazaréen et s’unir au Christ ressuscité, le cœur débordant de miséricorde à la veille de Pâques. Derrière les murailles de la Vieille Ville, la fureur des intifadas, de l’apartheid et des récentes fusillades de passants ordinaires dans les rues de Tel Aviv s’estompe…

« Quand l’occasion se présente, je leur parle des coulisses de la naissance d’un foyer national juif en Palestine, annoncé en 1917 par la Grande-Bretagne pour gagner des alliés et empêcher le contrôle de Suez par les Français ; je rappelle l’expulsion brutale de près de 700000 résidents arabes de Palestine en 1948 après la création de l’État d’Israël ; et l’adoption par l’Assemblée générale des Nations unies d’une résolution pour commémorer les 75 ans de la “Nakba” en mai 2023… »


© Claude Corse pour L’Incorrect

Une cohabitation des églises difficile

Le soleil pointe derrière le Mont du Temple vénéré par les Juifs, que les musulmans appellent Al-Haram Al-Sharif. Fabrizio, un frère sicilien, se met en marche en direction de l’église Sainte-Anne, propriété du domaine national français en Terre Sainte depuis le XIXe siècle, où selon la tradition, les parents de la Vierge Marie ont vécu. « Je suis parti tôt avec les premiers pèlerins de la Casa Nova, une résidence chrétienne à deux pas de la Porte nouvelle », explique-t-il en réajustant le ruban d’une croix en bois mal dégrossie qui lui tombe sur le ventre. Une chose est sûre : celle-là ne sort pas d’une boutique à touristes qui propose des objets sculptés en bois d’olivier… made in Tunisia. « Après avoir marché 35 jours sur le sentier de Saint-Jacques de Compostelle, fait un pèlerinage à Lourdes et passé une nuit d’adoration au sanctuaire de la Vierge de Medjugorge, j’avais besoin de revenir à Jérusalem comme à la Source de vie… »

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Si le temps des guerres de religion et des croisades est révolu, il est étonnant de constater à quel point la cohabitation des églises reste difficile. Un sujet sensible surtout à Jérusalem, où il n’est pas de bon ton de questionner les rapports de force entre congrégations à la veille de Pâques. Ancrés dans un passé immémorial, Grecs-orthodoxes, Latins, Arméniens, et dans une moindre mesure, Syriaques, Coptes et Éthiopiens se partagent la lourde tâche d’administrer le Saint-Sépulcre, souvent à coups de plaintes, parfois même à coups de poing. « À ce jeu-là, la réputation des Arméniens n’est plus à faire », affirme un prêtre rencontré à la chapelle de la Flagellation.

Histoire d’éviter toute initiative défavorable à l’une des congrégations, des membres de chaque communauté n’hésitent pas à passer la nuit sur place pour protéger leurs biens

Histoire d’éviter toute initiative défavorable à l’une des congrégations, des membres de chaque communauté n’hésitent pas à passer la nuit sur place pour protéger leurs biens. Un mécanisme de « statu quo » prévaut pour éviter tout dérapage. L’idée étant de ne rien faire sans unanimité au nom du passé. C’est ainsi que deux familles musulmanes se partagent toujours l’ouverture et la fermeture de l’entrée principale de la basilique, selon l’ordre donné par… Saladin en 1192 ! « Comment s’étonner que Juifs et Arabes ne parviennent pas à s’entendre si les Chrétiens entre eux sont incapables de célébrer Pâques le même jour pour la communauté des croyants ? » Cette année, les Latins diront la messe solennelle le 9 avril et les Orthodoxes huit jours plus tard…


James, le « Christ de Détroit », circule pieds nus, appuyé sur son bourdon de pèlerin (© Claude Corse pour L’Incorrect)

Le Christ de détroit

Badgés et soigneusement étiquetés derrière leur chef de mission équipé d’un petit haut-parleur rose, une vingtaine de couples chrétiens de San José (Costa-Rica) quittent le Saint-Sépulcre en portant contre la poitrine un imposant Salvator coronatus, portrait de Jésus avec sa couronne d’épines. On dirait une œuvre d’Abrecht Bouts. « Nous avons prié pour la paix et le pardon, insiste Fabiola, jeune ingénieure informatique. La guerre n’est pas une valeur chrétienne. Nous lui préférons la force de l’Amour, même s’il m’arrive de douter dans un monde de plus en plus intolérant et cupide… »

Pour une fois, la place est presque déserte, abandonnée à un chat roux qui a dû recevoir toutes les caresses du monde et à la tunique de toile écrue de James, un américain du Michigan qui a renoncé il y a quinze ans au confort de la vie matérielle. Le Christ de Détroit circule pieds nus, appuyé sur son bourdon de pèlerin et vit de charité dans la Vieille Ville, dont il n’est jamais sorti. N’allez pas imaginer qu’il est payé par l’Office du Tourisme israélien ou qu’il pose comme ces personnages de série qu’on peut croiser à Las Vegas devant les casinos-hôtels : « CNN, Al Jazeera, BBC et tant d’autres chaînes m’ont interviewé mais je ne joue pas ! (il sourit). Je n’ai qu’une bible, c’est mon seul bagage. Je fais confiance à la Providence qui m’a offert de si belles rencontres… » En voilà au moins un qui n’est pas inquiet de voir les communautés chrétiennes se chamailler pour un chandelier déplacé ou les appariteurs faire passer un guide et ses clients privilégiés à l’entrée de l’édicule qui abrite le tombeau de Jésus devant une foule qui patiente depuis deux heures…

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Apparemment, James n’a pas non plus croisé la route des juifs radicaux qui se sont mis en tête de chasser les impies de leur Eretz Israel, la Terre promise par Dieu à la descendance d’Abraham. « Les semaines qui viennent risquent bien de marquer l’histoire du pays, prédit le frère Francesco, fin connaisseur des institutions religieuses de la Ville sainte. Je ne parle pas des grèves et des manifestations monstres à Tel Aviv pour défendre la démocratie en Israël mais de la déclaration de guerre des ultra-religieux aux communautés présentes à Jérusalem et particulièrement les églises chrétiennes… »

Comment s’en étonner ? Empêtré dans ses affaires de corruption, Benyamin Netanyahu a dû accepter la présence de ministres suprémacistes dans son dernier gouvernement où l’on retrouve Bezalel Smotric, avocat ultra-nationaliste qui a le mérite de la clarté. Concernant le peuple palestinien, le ministre des Finances parle d’une invention et se considère avec sa famille comme les « vrais Palestiniens ».

À ses côtés, un personnage plus inquiétant : Itamar Ben G’vir, le sauveur autoproclamé. L’avocat, aujourd’hui premier flic d’Israël, s’empresse de parader, à peine nommé, sur l’esplanade des Mosquées (Le Mont du Temple) entouré de ses affidés, et annonce qu’il n’hésitera pas à faire démolir les maisons construites illégalement à Jérusalem-Est et en Cisjordanie, même pendant le ramadan. Voudrait-il plonger le pays dans une guerre régionale qu’il ne s’y prendrait pas autrement…


Surveillance assurée sans ménagement au Saint-Sépulcre par les kawas, les gardiens du temple, reconnaissables à leur bâton et leur tarbouche ottoman ; ils semblent parfois oublier qu’ils accueillent des pèlerins, pas des touristes (© Claude Corse pour L’Incorrect)

Vandalisme et agressions

Chacun sait que la politique d’attribution des permis de construire dans les territoires occupés empêche un Palestinien d’obtenir le fameux sésame, contrairement aux demandes enregistrées par les Israéliens. Selon un reportage de la douzième chaîne israélienne, vingt-cinq anciens officiers supérieurs de police ont averti le Premier ministre que les politiques du ministre de la Sécurité nationale conduiront à une troisième intifada…

Résultat : une série d’actes de vandalisme et d’agressions physiques ont été perpétrés depuis quelques semaines par des individus proches de la mouvance sioniste ultra-religieuse visant la communauté chrétienne qui représentait 11 % de la population en 1922. À peine 2 % aujourd’hui, soit 185000, en tenant compte des émigrés russo-ukrainiens. À ce rythme, il n’y aura plus de chrétiens en Terre Sainte en 2050 ! L’augmentation des agressions est exponentielle : 9 actes en 2021, 13 en 2022 et déjà 6 en deux mois.

« Il m’est souvent arrivé de me faire insulter par des jeunes, qui me traitent de cochon »


Un frère melkite

Un frère melkite témoigne sous couvert de l’anonymat pour ne pas risquer, à l’en croire, les réprimandes de sa hiérarchie : « On sait depuis longtemps que certains musulmans, bien que côtoyant Jésus (Isa) et Marie (Mariam) dans le Coran, ne portent pas les chrétiens dans leur cœur. Il m’est souvent arrivé de me faire insulter par des jeunes, qui me traitent de cochon “You are a pig!” ».

Plus récemment, sous l’influence des ministres de l’actuel gouvernement, ce sont les ultra-religieux qui prennent les chrétiens pour cibles… « Venant de Colombie, où je côtoie la violence de près, souligne le père Juan, je n’ai pas été surpris de voir ces jeunes portant les Tsitsit, ces franges rituelles rappelant au fidèle les commandements de la Loi de Moïse, détourner le regard en mettant la main devant leur visage et fermer les yeux sur mon passage. De là à ce qu’ils crachent à mes pieds… L’un d’eux s’est même libéré sur ma croix pectorale ! […] Renseignements pris dans ma communauté, le phénomène s’amplifie et nous avons reçu des consignes de prudence face à ces extrémistes capables de s’en prendre physiquement à leurs victimes pour montrer leur détermination à chasser ces chrétiens, religieux, laïcs et volontaires qu’ils accusent de soigner, éduquer et soutenir financièrement les familles des terroristes arabes en Cisjordanie et à Gaza… »

Actes anti-chrétiens

Le ton est donné. Preuve que le sujet inquiète et embarrasse les autorités ecclésiastiques après l’attaque à coups de marteau d’une statue du Christ à la deuxième station du chemin de croix. Contactée à plusieurs reprises pour en savoir plus sur la situation des chrétiens en Terre Sainte, la Custodie du Patriarcat latin de Jérusalem n’a pas jugé utile de donner suite à nos demandes, arguant un emploi du temps chargé à quelques jours de Pâques. Nous avons profité d’une opération de communication contre les actes anti-chrétiens sur le parcours de la Via dolorosa en présence des enfants des classes de la Vieille Ville pour interroger le Patriarche latin de Jérusalem, qui avait fait le déplacement.

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« Le climat général dans le pays est particulièrement problématique », nous a déclaré l’archevêque Pierbattist Pizzaballa. « Nous déplorons des divisions à tous les niveaux entre juifs, musulmans et chrétiens… Mais nous n’avons pas peur pour l’avenir. Nous ne baisserons pas les bras. Jamais ! Nous sommes ici. Nous y resterons ! » ajouta-t-il, très combattif à l’entrée de la Chapelle Saint-Sauveur. « Il y a toujours eu des hauts et des bas. Cette fois pourtant, je ne pense pas que la pression redescende rapidement. Qu’il s’agisse d’un épisode isolé ou d’une série d’actes anti-chrétiens, rien n’y fera : nous ne nous laisserons pas terroriser… »

Devant une assemblée très jeune, le Patriarche a pris à plusieurs reprises sa croix dans la main, l’a tendue devant lui en s’adressant aux écoliers : « Nous ne pouvons séparer notre vie, notre foi de la Croix… » S’il leur arrive de prendre à partie un prêtre grec-orthodoxe croyant avoir affaire à un catholique, les ultras des yechivas radicales auront compris le message, traduit à la demande du Patriarche en arabe et en hébreu… Reste à savoir jusqu’où ces fanatiques de la Torah, qui n’ont pas hésité à mitrailler une école chrétienne de Nazareth sont prêts à aller avec le soutien de leur ministre de la Police pour chasser de la Terre promise les idoles et les adorateurs du faux dieu…


Pierre de l’Onction : la pierre sur laquelle le Christ fut lavé et enveloppé dans le Saint-Suaire (© Claude Corse pour L’Incorrect)

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