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« Et une bèèèèlle journée ! »

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Publié le

22 janvier 2019

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L’insupportable bêlement qui accompagne maintenant non seulement les vœux, mais aussi les salutations quotidiennes, a de quoi surprendre et lasser.

 

« Bèèèèlle année »… « bèèèèlle journée »… entend-t-on ou lit-on en permanence depuis quelque temps, et ce que lon prenait au début pour une erreur se propage comme une traînée de poudre, au point que lon se demande si lon va bientôt dire « beljour » ou « beaujour » à la place de « bonjour ». Effet de mode ? Sans doute, et un tel comportement moutonnier est en effet somme toute logique pour un bêlement, mais pas seulement, et il serait intéressant de se demander ce que nos contemporains mettent derrière ce choix.

 

Un choix qui, dabord, est contraire à l’usage du français. « Beau », selon le Littré, se dit de ce « qui plaît par la forme, en parlant des êtres animés » et de ce qui est « remarquable par les proportions, en parlant des choses ». Et « bon », en dehors de ce « qui réunit les qualités de son espèce » s’emploie au sens de « heureux, favorable ».

 

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Souvenons-nous ici des vers immortels du poète, qui ont bercé notre enfance :

« Le soleil vient de se lever,

Encore une belle journée,

Il va bientôt arriver,

L’ami Ricoré ».

 

Tout est dit. Une belle journée est donc une journée où le soleil brille. Et lon notera tout de suite quune « belle » journée n’est pas forcément une « bonne » journé: manque de neige dans les stations, manque de pluie pour les récoltes, la belle journée n’est finalement bonne que pour le vacancier ou, plus globalement, pour tous ceux qui peuvent saffranchir de tout lien davec la météo.

 

 

Une vraie bonne journée est au contraire une journée qui mest profitable, à moi. Car cest bien cela que lon me souhaite : que dans tous les domaines, matériel ou moral, physique ou spirituel, ce laps de temps mapporte quelque chose.

 

De la même manière, une année n’a pas à être « belle », mais « bonne », et plus encore ici car être belle, pour une année, ne veut absolument rien dire en français. Passe encore pour une belle saison, un bel été à la rigueur, mais nous retrouvons les conditions météo, et avons-nous vraiment besoin des vœux de Monsieur météo ?

 

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« Bonne année, année favorable, écrit le Littré. Souhaiter la bonne année, faire, au 1er janvier, un compliment par lequel on souhaite que l’année qui commence soit heureuse. Bonne année – ajoute-t-il – année où les récoltes, les biens de la terre sont abondants ».

 

Plutôt les bonnes personnes

 

Mais au-delà de lerreur de français, comment ne pas voir derrière cet embellissement programmé de notre vie ce subtil parfum New Age qui traîne dans notre société de bobos ? On peut par exemple faire un lien facile entre ces « bèèèlles » années et journées et les « bèèèèles » personnes que nous sommes maintenant conviés à admirer.

 

Autrefois en effet, époque des ténèbres sil en fût, nous admirions les « bonnes » personnes et pas les « belles » personnes. Ou du moins nous nadmirions dans ces dernières que leur manière dincarner les canons de la beauté, quil sagisse dune belle femme ou dun bel homme – c’était autrefois, nous lavons dit, et nous navions alors que deux sexes et point de genres, mais rien nempêchait de pouvoir trouver beau un représentant de son propre sexe.

 

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La seule exception où le terme « belle » était usité à propos dun homme ici au sens générique – était spirituelle, puisque nous pouvions aussi admirer en lui une « belle âme ».

 

Mais ce que nous nous félicitions alors de connaître, plus encore que les « belles » personnes, c’étaient les « bonnes » personnes. Il y avait en effet en ces temps-là des bonnes mères ou de bons pères, bref de bons parents, comme aussi de bons frères et de bonnes sœurs pas en cornettes celles–là – et leur présence à nos côtés nous faisait du bien.

 

Dans un monde d’où la bonté, moquée comme paternaliste ou écartée comme trop charitablement connotée, est exclue, point n’est besoin de faire ces petits gestes quotidiens, il suffit de faire le Beau – et ce souvent dans tous les sens du terme.

 

On me dira quil y avait aussi des belles-mères et des beaux-pères, des beaux-parents, des beaux-frères et des belles-sœurs, mais le sens de ces termes était alors très précis, leur nombre limité – les familles étant, il faut bien le dire, moins « recomposables » que de nos jours – et lon saccordait généralement pour déplorer leur existence et les tenir à l’écart.

 

On avait encore de bons amis, de bons professeurs et quand on avait de beaux professeurs, on ne les épousait pas – et certains évoquaient même à la veillée lexistence des mythiques bons voisins, alors que, sils étaient dans les liens sacrés du mariage, ils se félicitaient rarement de vivre à côté des tentations de beaux voisins.

 

 

Le cœur en bandoulière

 

Or quand la belle âme impressionne par une quête de la spiritualité qui ne peut être celle de tout un chacun, et n’améliore dailleurs pas nécessairement ou pas directement au moins – le sort de ses contemporains, une bonne personne est avant tout une personne pleine de bonté, et donc une personne qui fait quotidiennement le bien autour delle. Un peu. Sans efforts et sans battage. De petits mots en petits gestes.

 

Mais dans un monde d’où la bonté, moquée comme paternaliste ou écartée comme trop charitablement connotée, est exclue, point nest besoin de faire ces petits gestes quotidiens, il suffit de faire le Beau et ce souvent dans tous les sens du terme. Une « belle personne » irradie ainsi le Bien, le Vrai et le Juste. Elle ne les réalise pas nécessairement, mais peu importe, sa seule présence parmi nous suffit à réchauffer nos âmes.

 

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Dégoulinante de bons mais aussi et surtout de beaux sentiments, sorte de loukoum écoeurant de mièvrerie, elle traverse la vie un sourire extatique sur les lèvres en portant son cœur en bandoulière.

 

C’est à cela en fait quon nous appelle en nous souhaitant une « belle journée » ou une « belle année ». À cette conversion vers le cul-cul érigé en dogme absolu de la Foi nouvelle. Car une journée ne doit pas seulement être bonne, elle doit aussi être belle, sans quoi elle ne serait rien. Bonne, oh mon Dieu, que cela est tristement matérialiste. Belle, elle doit nous transfigurer, nous faire parvenir à la connaissance de lindicible.

 

Non pas parce que nous aurons fait quelque chose pour cela dailleurs, à cause de notre travail sur le monde ou nous-mêmes, non, juste parce que la conjonction des planètes ou le souffle de lesprit au dessus des eaux dont on peut par ailleurs apprécier le si merveilleux chant – nous amènera à ouvrir notre cœur. Ce n’est plus un vœu ou un souhait que lon nous adresse au début de la journée ou de l’année, cest une bénédiction que lon déverse sur nous comme l’eau lustrale.

Belle journé? Une belle connerie, oui.

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